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Et pourtant, que sont deux générations (40 ans depuis l’ouverture de Vatican II) au regard des 20 siècles de ce qui paraissait une hostilité théologique consubstantielle, entrecoupée de spasmes de violence contre les Juifs ?
La description des étapes, les faits marquants, les progrès et les pauses, les reculs aussi, tout cela est connu, comme est connue l’impulsion essentielle donnée par deux papes exceptionnels, Jean XXIII et Jean Paul II, marqués tous les deux par la Shoah, l’un comme nonce en Turquie, l’autre comme jeune prêtre dans sa région natale près de l’épicentre de l’extermination ; et chacun a fait dès alors son devoir d’homme et de chrétien.
Ce qui est manifestement moins connu est le rôle que des français ont joué dans cette évolution extraordinaire : du côté juif, Jules Isaac, bien sûr, archétype de l’israélite français, enfant de la méritocratie laïque et républicaine, descendant de l’émancipation.
Mais du côté catholique, la filiation est glorieuse, qui de Péguy à Maritain, a ouvert un regard nouveau sur le judaïsme et ébranlé la théorie de la substitution. Comment ne pas rappeler le père Chaillet et le père Fessard qui, dès novembre 1941, dans ce texte magnifique du premier numéro des Cahiers clandestins du Témoignage chrétien (« France prends garde de perdre de ton âme ») énonçait l’impossibilité d’être en même temps chrétien et antisémite ? Comment oublier les si nombreux chrétiens qui, de Mgr Saliège à d’humbles religieuses, devinrent des « Justes » ?
Après Vatican II, c’est encore de l’Eglise de France que sont provenus des textes parmi les plus forts et les plus clairs sur le sujet, en 1973 la déclaration de la Conférence épiscopale et en 1997 la déclaration dite de repentance prononcée à Drancy.
L’action de l’Eglise de Lyon, sous la direction exemplaire du Cardinal Decourtray dans l’affaire Touvier, le rôle des prêtres et évêques français en coopération étroite avec les représentants juifs pour la solution de l’affaire du Carmel d’Auschwitz sont d’autres jalons de la constance de cet engagement et de l’efficacité de l’œuvre commune.
Evoquer, ne serait-ce qu’implicitement, comme l’a fait un rabbin américain à ce colloque, une tradition ancienne de frilosité de l’Eglise de France et l’enjoindre à rejeter les manifestations antisémites d’aujourd’hui, témoigne d’une grave ignorance historique et d’une inattention étonnante aux prises de position actuelles.
Le juif que je suis, engagé dans l’action communautaire et attentif à l’histoire de la guerre, n’est pas dupe. Oui, il est vrai que bien des catholiques ont été, comme tant d’autres malheureusement, des spectateurs inactifs, aveugles ou complaisants, d’autres des collaborateurs criminels. Cela a été dit à la repentance de Drancy et il n’y a pas lieu d’y revenir pour une polémique sur les temps actuels. Oui, il y a aujourd’hui des manifestations, des actes et des comportements antisémites en France, trop nombreux et trop banalisés. Nous les dénonçons, même sous leurs aspects masqués, faussement anodins et sympathiques. Dans cette lutte nous sommes convaincus que la République est notre garant essentiel et les Eglises d’aujourd’hui nos alliés efficaces.
Nous trouvons parfaitement normal que les Juifs hors de France s’alarment de cette résurgence du monstre que l’on croyait abattu, et nous leur sommes reconnaissants, car les Juifs ont assez souffert pour savoir le prix de la solidarité. Mais il ne s’agit pas, par analyse superficielle, simplifications abusives ou fatuité de donneur de leçons, de se tromper de cible, ou d’utiliser la harangue à d’autres objectifs.
En matière de relations judéo-catholiques, seul thème de ce colloque, ce fut clairement un hors sujet, probablement explicable par les tensions politiques de l’heure. Il n’effacera pas le souvenir des manifestations d’hommage, des appels à la défense des valeurs communes, des remarquables exposés de réflexions sur la Shoah et la place du fait religieux dans la cité laïque. Le compagnonnage est installé dans la durée et prêt à réagir aux surprises de la conjoncture.
Dr Richard PRASQUIER
Membre du Bureau exécutif du Crif (conseiller du Président), responsable des relations avec les catholiques.
Président du Comité français pour Yad Vashem
Paris, le 13 mars 2003