Fin août, donc, un militant trotskiste antisioniste publie une série de trois articles sur internet. Il se nomme Pierre-Yves Salingue. C’est un trotskiste, c’est un pro-palestinien, mais c’est surtout un antisioniste.
Dans son article, M. Salingue s’en prend à d’autres militants pro-palestiniens, qui ont le tort à ses yeux de ne pas rejeter avec suffisamment d’énergie les efforts de paix au Proche-Orient. Car M. Salingue est un extrémiste, qui dénonce «la stratégie de la non-violence» et veut «le démantèlement de l’État sioniste».
Parmi les pro-palestiniens qui sont trop tièdes au goût de M. Salingue, il en est un dont le nom revient avec insistance (quinze fois, j’ai compté) sous sa plume. L’homme ainsi mis au pilori est Dominique Vidal, journaliste au mensuel «Le Monde diplomatique» et membre du Bureau national de l’Association France Palestine Solidarité.
La philippique de M. Salingue paraît sur internet, et elle est reprise bientôt par le site du conspirationniste Thierry Meyssan, qui porte le nom de Réseau Voltaire. Et là, que voyons-nous ? Une photo de M. Vidal, agrémentée d’une légende où il est décrit comme un «militant sioniste».
Afin que le lecteur comprenne bien de quoi il s’agit, on précise le nom du père de Dominique Vidal – un universitaire dont les travaux sur la culture sépharade font autorité – et on nous donne même la photo du père. Bref, le pro-palestinien Vidal est juif, et voilà pourquoi il n’est pas assez antisioniste selon Pierre-Yves Salingue et Thierry Meyssan.
Un tel procédé, qui relève de l’antisémitisme le plus répugnant, n’a pratiquement pas été relevé dans la mouvance pro-palestinienne. Dominique Vidal a protesté discrètement, et a émis l’espoir que Pierre-Yves Salingue aurait «l’honnêté de dénoncer son instrumentalisation par le Réseau Voltaire».
Deux mois ont passé. Pierre-Yves Salingue ne s’est manifesté nulle part. Qui ne dit mot consent, dit la sagesse populaire.
Certains pourraient être tentés de rire en voyant des militants pro-palestiniens se déchirer ainsi entre eux. Ils auraient tort, grandement tort. Car l’antisémitisme sous-jacent qui est ainsi révélé va immanquablement polluer l’air que nous respirons tous.
«L’antisionisme n’est pas l’antisémitisme», nous a-t-on répété sans cesse. Un tel slogan – repris, d’ailleurs, par Dominique Vidal lui-même – signifie, en réalité, que l’antisémitisme peut se donner libre cours dès lors qu’il est drapé dans les plis du drapeau antisioniste.
Billet diffusé sur RCJ le 27 octobre 2010
Photo : D.R.