Tribune
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Publié le 28 Février 2008

Le retour de la bête immonde

La conférence internationale sur l’antisémitisme (Global Forum for Combating Antisemitism) a eu lieu à Jérusalem, des 24 au 26 février 2008. Présidée par Tzipi Livni, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères d’Israël et Isaac Herzog, ministre de la Diaspora, deux cent cinquante personnes (universitaires, diplomates, spécialistes et journalistes, dirigeants des communautés juives) ont assisté au Forum. Le CRIF et le SPCJ y étaient également représentés.


C’est donc dans un amphithéâtre archicomble du ministère que les participants se sont rencontrés, mais se sont plus véritablement dans les couloirs ou au buffet du ministère que les gens se sont côtoyés et ont échangé des, d’autres informations. Les interventions n’ont d’ailleurs pas manqué : soixante treize allocutions en deux jours. Un rythme effréné. Mais elles étaient trop courtes, avec une moyenne de quatre à cinq minutes de temps de parole pour chaque conférencier. Nous regrettons également que les échanges aient été limités, les participants n’ont presque pas eu la possibilité de questionner les intervenants. Par ailleurs, nous en restions quelquefois à de vagues considérations générales. Que dire également des interventions, sinon qu’elles furent très inégales ? Nous avons par exemple été déçus par l’un d’entre eux qui devait parler d’Hugo Chavez et des orientations idéologiques du « Caudillo » Vénézuelien. Cet intervenant vénézuelien a limité sa présentation à quelques explications sommaires, montrant un vague programme et un tract d’un groupuscule national bolchevique. Autant de choses que l’on trouve ailleurs. Que dire également de ce mélange de genre ? Sinon, qu’il y avait d’un côté de vrais spécialistes ou des chercheurs, des hommes du terrain qui travaillent sur toutes ces questions et ont une démarche analytique et de l’autre, ceux et celles qui n’ont fait que survoler le sujet, se laissant aller à l’affect.
Malgré ces quelques réserves, le Forum nous questionne : Pourquoi nous en sommes là ? Comment se fait-il que nous devions nous préoccuper de la résurgence de l’antisémitisme, soixante ans après la Shoah ? Quelles sont les stratégies que nous devrions adopter pour combattre l’antisémitisme ? Comment devons nous occuper le terrain et pour faire quoi ? Quels sont nos alliés ? Devons-nous nous coordonner ? Faut-il développer l’éducation ? Doit-on mieux former les éducateurs et les enseignants ? Comment pourrions-nous circonscrire les flots de haine qui se répandent sur Internet ? Quels sont les liens qui unissent Hugo Chavez à Mahmoud Ahmadinejad et cet homme -qui se croit porteur d’une mission divine- à Ismaël Haniyeh ou Hassan Nasrallah ? L’Iran va-t-il se doter de l’arme nucléaire ? Y a-t-il un risque de conflit, une bombe atomique sera-t-elle larguée sur Tel Aviv ? L’Europe doit-elle craindre aussi que l’Iran se dote d’un tel arsenal ? La propagande antisémite fait-elle un distinguo entre Juifs Israël et les sionistes ? Comment les stéréotypes et les préjugés se réactivent, s’actualisent et se « modernisent » ? Devons nous encourager et multiplier les contacts avec des musulmans modérés ? Devons nous aller dans les écoles et parler aux jeunes ? Peut-on changer les mentalités ? Comment lutter contre l’antisémitisme dans les facs et les campus ? La législation antiraciste doit-elle se renforcer ? Comment se fait-il que le Conseil des Droits soit composée des pires dictatures de la planète (l’Iran, la Libye, Cuba) ? Israël doit-il participer à la prochaine conférence de l’ONU dite "Durban 2" en 2009 ?
Sur ce point, Richard Prasquier, Président du CRIF, a proposé l’organisation d’une conférence alternative à celle de Durban 2 et il y eut une annonce importante : Tsipi Livni, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères d’Israël, a indiqué qu’Israël ne participera pas à un tel rassemblement « à moins qu’il soit prouvé qu’il ne deviendra pas une plateforme pour l’intensification d’activités antisémites et anti-israéliennes ». Le chef de la diplomatie israélienne a appelé la communauté internationale à boycotter la conférence de Durban 2 qui risque de « légitimer la haine, l’extrémisme et l’antisémitisme sous le prétexte de lutter contre le racisme ».
Au-delà, les différents intervenants se sont accordés sur la gravité de la situation. Ils ont estimé qu’il y a une recrudescence de l’antisémitisme dans le monde et que, ce nouvel antisémitisme s’emploie d’abord à délégitimer Israël, à le diaboliser en l’assimilant au nazisme, à l’apartheid ou au racisme. D’autres menaces ont été évoquées. Le radicalisme islamiste était sur toutes les lèvres.
Quelques intervenants ont rappelé qu’en Angleterre, aux Etats-Unis, en France ou dans d’autres pays, des intellectuels ont organisé un boycott systématique d’Israël, dans les universités ou les écoles. Pis, le nouvel antisémitisme veut non seulement dénier à Israël le droit d’exister, mais encore, remarque-t-on que les Juifs doivent affronter des situations paroxystiques. De courtes séances vidéo ont été montrées. Comment ne pas frémir lorsque l’on voit cette école juive de Montréal sous les flammes ? Des images qui rappellent que des écoles Juives et des synagogues en France ont été saccagées, endommagées, incendiées, profanées. Tout le monde à également en tête, les attentats qui ont ensanglanté ces dernières années, en Turquie, en France, en Argentine et ailleurs, les communautés juives. Des mères de famille racontent leur désarroi, leur crainte, la peur et l’effroi lorsque leurs enfants sont agressés dans des écoles, parce que Juif et de se rappeler qu’en France, le jeune Ilan Halimi a été assassiné, parce que Juif. Que dire également de cette vidéo incroyable qui a été montrée par le directeur du MEMRI. Il s’agit d’une séquence diffusée par la chaîne de télévision saoudienne Iqra : une enfant de 5 ans est interrogée, on lui demande de parler des Juifs : la gamine récite alors benoîtement la leçon : « Les Juifs ont voulu assassiner le Prophète… » « Ils tuent. » « Ce sont des porcs ». « Ils détiennent l’économie du monde et … Pepsi Cola (sic). » Que dire aussi de ces images : les supporters de Chavez et de Castro, les pseudo anti-impérialistes, des altermondialistes enflammées, faisant cause commune avec les islamistes, brandissant des étoiles jaunes entrecoupées de croix gammées ; ces dessins satiriques scabreux qui travestissent le Juif en un officier de la SS ; les supporters du Hezbollah, éructant de haine ; les antisémites de tout poil se réjouissant d’en découdre avec les Juifs, et ces braves âmes qui laissent faire, parce qu‘il est de bon ton de ne rien faire, de taire, de se taire et d’oublier.
Lors de ce forum, les intervenants se sont élevés alors pour dire leur dégoût, leur honte, leur révolte : John Mann, député travailliste britannique, a pointé du doigt ce qui se passe en Angleterre ; Irwin Cotler, l’ancien ministre canadien de la justice, a souhaité que soit créer une coalition contre l’antisémitisme ; Petra Pau, vice présidente du Bundestag (parlement allemand) s’est écriée que l’antisémitisme n’est pas acceptable et n’est surtout pas une forme de critique politique ; le Rabbin Michaël Melchior a affirmé qu’il est encore possible d’éduquer et de créer une atmosphère de dédiabolisation ; Oleksandr Feldman, membre du parlement ukrainien, a exhorté ses concitoyens à lutter contre l’antisémitisme ; Abe Foxman de l’Anti Defamation League a rappelé que les Juifs ne sont pas seuls ; Maqsood Ahmed, un musulman britannique, nous a encouragé à aller dans les écoles, à instaurer un dialogue avec les musulmans. Et de l’avis général, tout le monde s’est accordé pour dire qu’il faut organiser la résistance, être déterminé et soudé.
C’est cela au fond, peut-être la leçon qu’il faut retenir de ce forum contre l’antisémitisme.
Marc Knobel
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