De quoi s’agit-il ? Nos fins éditorialistes prétendent, écrivent, disent et affirment qu’à l’approche des prochaines élections présidentielles américaines, Barak Obama serait littéralement tenu par ce lobby. Bref, disent-ils en substance, s’il voulait être réélu, il devra obligatoirement composer avec lui et il lui faudra presque faire allégeance, s’alignant ainsi sur Israël. A les entendre, les Juifs américains dont on exagèrerait le nombre décrèterait ce qui est bon ou pas pour l’Amérique. Naïvement, je croyais que nos commentateurs feraient preuve de prudence.
Hélas…
C’est ainsi, que nos chers éditorialistes se sont tous rués sur une élection locale. Celle qui opposait l'homme d'affaires républicain Bob Turner face à son adversaire démocrate, Dave Weprin, un élu local. Or, les électeurs du neuvième arrondissement de New York ont choisi ce catholique plutôt qu’un Juif orthodoxe démocrate de 56 ans. C’est en cœur que les analystes affirmèrent que Weprin a perdu les élections en raison de son soutien à la politique du Président Obama qui aurait été hostile à Israël. Cela sonnerait comme un avertissement, à quelques temps des élections. Comprendre qu’il s’agirait d’un test et que les Juifs pourraient faire perdre Obama. Cette affirmation est aussi étrange que grotesque.
Rappelons qu’il il y avait 5,5 millions de juifs aux Etats-Unis en 1990; le nombre est descendu à 5,2 millions en l'an 2000 à quelque chose près l’équivalent de la population d’un seul état, le Minnesota (5 303 925, lors du recensement de 2010). Or, la population américaine est de 308 745 538 habitants (recensement de 2010). Pourquoi nos chers commentateurs choisissent-ils de se focaliser sur les électeurs de confession juive, exclusivement ?
Soyons honnêtes, le lobby Juif américain existe bel et bien dans ce pays. Il pèse au Congrès. Pourquoi ? Parce qu’il est très actif et dispose de nombreux relais. Parce qu’aussi les Américains, en général, soutiennent la seule démocratie du Moyen-Orient qui est également l'allié fiable de l'Amérique.
Notons au passage que bien d’autres lobbys pèsent au Congrès, les lobbys font partie du paysage politique américain. Rappelons cette évidence : il existe une multitude d’intérêts amples, complexes et diversifiés, qui semblent fonctionner aisément dans le contexte américain. Cette facilité s’explique par le caractère fragmenté du système politique : celui-ci offre une diversité de points d’accès aux groupes d’intérêt. Elle s’explique aussi par le pluralisme idéologique au sein de chaque parti politique.
Comment se fait-il dans ces conditions que nos commentateurs et journalistes parlent exclusivement d’un seul lobby qui vaille que vaille selon eux : le lobby Juif ?
- Quid du lobby arabe, dirigé par les Saoudiens avec les pétrodollars et ses intérêts corporatistes? Steven Emerson écrivit sur le lobby des pétrodollars dans son best-seller de 1985, La Maison américaine des Saoud. Il y indiquait comment les ambassades arabes et les sociétés en recherche de contrats arabes utilisaient des personnalités américaines éminentes comme l'ancien président de la commission des affaires étrangères du Sénat William Fulbright, l'ancien assistant de la Maison Blanche Frederick G. Dutton, l'ancien secrétaire du Trésor William Simon, l'ancien gouverneur du Texas John Connally, l'ancien directeur du budget Bert Lance, et l'ancien vice-président Spiro Agnew (Middle East Forum. La composante européenne du lobby arabe à Washington par Steven J. Rosen Middle East Quarterly, Automne 2010). D’après le nouvel ouvrage du spécialiste des affaires proche-orientales, Mitchell Bard, le lobby arabe américain serait beaucoup plus puissant que les différents lobbies israéliens aux États-Unis. Car le lobby arabe bénéficie d’un soutien financier très important de la part de l’Arabie Saoudite et d'autres pays arabes, ce qui lui confère une très puissante influence… Même si une nette majorité de citoyens américains continuent de soutenir Israël (The Arab Lobby: The Invisible Alliance That Undermines America's Interests in the Middle East).
- Quid du lobby quotidiennement exercé par les organisations arabo-américaines et les ambassades arabes aux USA ?
- Quid du lobby exercé par le plus grand groupe arabo-américain, le Comité américano-arabe contre la discrimination (CDA), qui attire de nouvelles recrues en combattant les biais et les stéréotypes arabophobes aux Etats-Unis ?
- Quid du lobby exercé par les Etats arabes du Golfe aux Etats-Unis (qui ont un marché d'importation de 300 milliards de dollars pour les entreprises du monde entier, à comparer aux 50 milliards de dollars d'importations d'Israël) ?
- Quid du lobby exercé par l’Organisation de la Conférence Islamique ?
- Quid des lobbys qui sont à la manœuvre en France (ceux des vignerons, des pétroliers, d’Internet, de l’industrie alimentaire ou pharmaceutique, de la chimie, des chasseurs, des professions de santé, des buralistes et des cafetiers, du patronat, des assureurs, de la défense et de l’aéronautique… ?) Rappelons à ce sujet qu’Hélène Constanty et Vincent Nouzille avaient publié un ouvrage très intéressant sur la question « Députés sous influences, Fayard, 2006), dévoilant l’influence grandissante des groupes d’intérêts sur les élus.
- N’existe-t-il pas en France un lobby pro libanais, pro syrien et surtout un lobby pro palestinien puissant qui regroupent des partis politiques et des syndicats, des Eglises et des organisations de solidarité internationale, des associations de sensibilisation, de développement, de recherche, de défense des droits de l’Homme, des mouvements d’éducation populaire et des collectifs d’associations qui sont autrement plus puissant que le lobby Juif ?
De fait, nos chers éditorialistes de la presse française, affirme (sans rire) que le lobby Juif américain pourrait définitivement peser sur les orientations de la politique étrangère américaine. Il faut donc comprendre qu’Obama serait si faible qu’il ne pourrait définir de grandes orientations en toute conscience et en connaissance de cause.
Comment alors amener nos analystes à faire preuve d’un peu plus de prudence ou de retenue, un peu plus de recul et peut-être un peu moins de désirs refoulés lorsque l’on parle de ce sujet ?
Photo : D.R.