Sa guerre fait feu de tout bois. Elle plante la bannière coranique sur des ressentiments nationalistes comme sur des violences tribales, chez des gueux comme chez des tyrans. Elle offre un balai divin à toutes les sorcières du sabbat proche-oriental. Son unique fédérateur, c'est un dogme simpliste que récusent les autorités théologiques de l'islam. Sa haine médiévale emprunte mille sentiers divers mais assiège de partout la même citadelle : l'Occident et ses démocraties exécrées, leur organisation libertaire, leur dérive humaine hors de la voie de Dieu.
Est-ce une guerre de religion ? Oui, car l'invocation divine inspire prêches, meurtres et martyrs. Non, parce que l'immense religion d'islam et son milliard de fidèles ne rallient pas son fanatisme. L'islamisme, en somme, est un virus à la propagation énigmatique. Le trop faible islam réformateur n'a pas trouvé son vaccin.
Il aura suffi d'un attentat manqué dans le ciel américain de Detroit, d'une agression ratée contre un caricaturiste danois de Mahomet pour rappeler que le virus oublié chemine toujours.
Obama aura donc mis dans sa poche son rameau d'olivier et affiché une posture martiale. C'est qu'en vérité il constate surtout que le conflit taliban s'enkyste en Afghanistan et s'établit au Pakistan. L'argent du pavot, la corruption endémique, le nationalisme pachtoun et une aversion accrue contre l'occupant inspirent, aux Etats-Unis comme à l'Europe, des pronostics de plus en plus pessimistes. Les contributeurs de l'Otan (qui représentent pourtant 800 millions d'Occidentaux) ne rêvent que de rapatrier leurs modiques contingents de soldats, volontaires et professionnels. Leurs opinions redoutent l'engrenage d'un conflit sans issue. Son extension au Yémen et en Somalie ne fait qu'étendre le bourbier.
Les experts relèvent aussi qu'en Afrique les islamistes se font plus agressifs. Ils infiltrent le Sud algérien salafiste, le géant nigérien où douze Etats du Nord ont réintroduit la charia, mais aussi la Mauritanie, le nord du Niger et le nord du Mali. Les agressions récurrentes des coptes en Egypte et de chrétiens en Palestine, en Irak, comme les avanies récentes faites aux chrétiens de Malaisie suggèrent que le virus se mondialise.
Résumons ! Sur le triple front proche-oriental, le Pakistan devient le maillon le plus critique du dispositif occidental. Le conflit israélo-palestinien est, lui, enlisé. Quant à l'Iran, il figure l'inconnue déterminante des prochains mois.
L'illusion bushiste de voir, après la guerre en Irak, la démocratie essaimée dans un grand Moyen-Orient a fait long feu. Bagdad émerge certes de ses décombres. Mais, loin de restaurer une laïcité bassiste et anti-islamiste, l'Irak devient, avec sa majorité chiite, une carte maîtresse dans le jeu des mollahs, qui s'ajoute à celle du Hezbollah libanais. Ces atouts croissants de l'Iran, Washington les a longtemps ménagés dans l'espoir d'une évolution modérée du régime. Mais le clan d'Ahmadinejad, secoué par la fronde populaire et l'hostilité des « modérés », se raidit et brandit comme jamais sa prétention nucléaire. Celle-ci impatiente dangereusement Israël et braque tout autant les pouvoirs sunnites de l'Arabie saoudite et des émirats pétroliers. Si bien que le conflit qui s'exacerbe entre chiites et sunnites, s'il divise l'islam et ses franges missionnaires, entrave aussi la manoeuvre occidentale, empêtrée dans un écheveau de cordons explosifs.
L'Occident reste, en fait, profondément désorienté par une adversité où la distinction de l'état de guerre et de l'état de paix n'est plus pertinente. Cette adversité insaisissable a déjà dévalué le processus de paix entre Israël et la Palestine. On voit s'établir en Europe, et dans le pacifisme affiché d'Obama, une culture de résignation ou d'accommodement vis-à-vis d'un terrorisme islamiste que l'on présente à tort comme dicté par le désespoir ou la misère. Le logiciel occidental reste aveugle sur une mystique qui chavire des illettrés du Yémen ou des ingénieurs de Stanford. La vaine tentation gagne quelques Etats d'obtenir par complaisance la sanctuarisation de leur territoire : tel fut le cas du « Londonistan » britannique avant que Londres, à son tour agressée, ne se découvre flouée. Au total, la rumination de la mauvaise conscience occidentale affaiblit les résolutions nécessaires. « N'est-il pas honteux, demandait Voltaire, que le fanatisme ait tant de zèle et que notre sagesse n'en ait point ? »
Claude Imbert (article paru dans le Point du 14 janvier 2010)