Tribune
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Publié le 12 Mai 2003

Les associations de reporters et le conflit au Moyen Orient

C’était le 3 mai 2003, le jour même de la journée de la liberté de la presse, un journaliste britannique est tué dans les territoires palestiniens. L’événement a été filmé. Le même film - sur lequel il est impossible de voir ce qui s’est réellement passé – est proposé comme preuve dans tous les journaux télévisés. Arte accuse : « Les Israéliens ont abattu un journaliste britannique ». Les autres chaînes sont plus modérées.



Trois associations ont remis à l’occasion de cette journée leur rapport annuel : le « Committee to protect journalists » (CPJ), « Freedom House » (FH) et « Reporters sans frontières » (RSF). Leur ton et leur approche de la question sont fort différents. Tandis que RSF désigne Sharon comme « prédateur de l’information » (une entité floue « services de sécurité », sans photo, est désignée comme « prédateur » côté palestinien) , la « maison de la liberté » affirme qu’Israël est le seul pays de la région où la presse est libre. Il est donc intéressant de comparer ces trois rapports.

Surprise. Pour la première fois, le rapport général sur le Maghreb/Moyen-Orient de RSF, s’en prend de front à l’antisémitisme des médias arabes : « Sur fond de conflit israélo-palestinien, la presse du monde arabe a multiplié les attaques contre l’Etat hébreu à coup de discours antisémites ». Il épargne toutefois Al-Jazira « la plus populaire des télévisions arabes » peut-être parce que « les ministres de l’information ont été tentés de s’en prendre » à cette chaîne qui « donne la parole à Israël ».


Ce rapport général poursuit : « Si les médias sont libres et indépendants en Israël, ce n’est pas le cas dans les territoires palestiniens où les journalistes ont été victimes de l’usage excessif et disproportionné de la force par l’armée israélienne. Trois journalistes ont été tués (selon toute vraisemblance) par l’armée israélienne, alors qu’ils exerçaient leur profession ». Il dénonce une « stratégie de harcèlement » israélienne. Il est beaucoup plus compréhensif vis à vis de l’Autorité palestinienne qui « a perdu sa capacité d’entrave au travail des journalistes. Cependant sa volonté de contrôler son image demeure. Les services de sécurité ainsi que des groupes armés du Hamas ont plusieurs fois agressé des journalistes ».

Le rapport « local » est encore plus virulent, voire accusateur, contre Israël, qui apparaît comme prêt à museler la presse y compris à l’intérieur du pays. Les Israéliens, sur la foi des « témoins », sont sans ambiguïté considérés comme coupables (de la mort des journalistes, de vols ,etc.). Dans toutes les circonstances les témoignages locaux priment sur l’exposé des faits par l’armée. Les arrestations de journalistes sont mauvaises en soi, même s’il s’agit sans conteste de membres d’organisations terroristes comme le Hamas. A cet égard, aucune hiérarchie des actes incriminés, les délits « d’opinion » ne sont pas distingués de la photographie de sites militaires ni de l’incitation ou de la participation à des opérations terroristes. Le risque sécuritaire n’est pas retenu comme argument.

Sur la zone palestinienne, la plus grande partie du rapport porte sur les « exactions israéliennes ». La position « victimaire » des Palestiniens est largement mise en avant. Le rapport relève pourtant qu’au moins deux reporters portant des brassards de presse « visibles » ont été blessés par balle dans des camps de réfugiés, qu’à de nombreuses reprises ils ont été menacés de lynchage quand ils filmaient des scènes peu glorieuses et que les journalistes ont fait l’objet à de nombreuses reprises d’intimidations, confiscation de matériel, interdictions de filmer (comme de filmer les enfants en armes). Là encore, ils s’élèvent avec la même vigueur contre la fermeture de journaux du Hamas ou du Jihad islamique que contre ces intimidations.

Cette inégalité de traitement entre les deux parties rejoint les modes d’action de l’organisation : accusations publiques d’un côté, discrétion de l’autre. On se souvient du virulent article de son Secrétaire général, Robert Ménard, le 7 mars 2002. Il mettait en cause à la fois les Juifs de France coupables de vouloir intimider les journalistes et le gouvernement israélien qui les désignerait volontairement comme cibles. Le même Robert Ménard se faisait beaucoup plus discret le mois précédent sur les exactions de l’autorité palestinienne : il se contentait d’adresser un courrier au vice-ministre de l’intérieur palestinien : « Nous vous demandons de prendre des mesures urgentes pour que cessent les entraves au droit d’informer rencontrées par les journalistes sur les territoires sous votre contrôle ». Le même procédé avait déjà été utilisé en août 2001 pour demander à l’autorité palestinienne de « s’engager à veiller sur la sécurité des journaliste ».

Le CPJ publie lui un classement des lieux où « il ne fait pas bon être journaliste ». Parmi les dix pays les pires, « Gaza et la West bank » figurent en bonne place mais largement derrière l’Irak, Cuba ou le Vietnam, après l’Afghanistan et la Tchétchénie. Selon ce rapport, il ne fait pas de doute que les trois reporters tués l’ont été par les israéliens. Les récits concernant ces décès sont pourtant plus nuancés que ceux de RSF. Le rapport accorde le bénéfice du doute sur les intentions des tireurs. Ainsi, pour le journaliste italien Cirielo : « selon les journalistes présents, au moins un tireur palestinien se trouvait à proximité immédiate du journaliste ». Le journaliste palestinien Tillawi se trouvait, lui, au milieu d’une manifestation. Pourtant sur la mort de Abu Zahra, « journaliste free lance » palestinien, les deux rapports accordent un crédit total aux témoins : un journaliste de l’agence officielle palestinienne WAFA et les résidents de Jénine. Le rapport d’une dizaine de lignes au plus fait aussi état des entraves liées au gouvernement israélien et ajoute : « les militants juifs des implantations, s’en prennent violemment aux journalistes et les forces de sécurité palestiniennes et les milices ont physiquement agressé et intimidé les journalistes et leur ont confisqué leur matériel ».

« Freedom house » (FH) a étudié 193 pays à partir de trois critères : l’environnement légal, les influences politiques et les pressions économiques. Les pays obtenant un total de 1-30 points sont classés « libres », entre 31 et 60 points, ils sont partiellement libres, au dessus de 60 points ils sont considérés comme non-libres.

Israël, avec un total de 27 points reste un « pays libre », malgré certaines dérives. Comme RSF, FH note le refus d’accréditation de journalistes palestiniens, mais quand RSF disait de façon dubitative « pour raisons de sécurité », FH précise : « après que quelques militants palestiniens se soient fait passer pour des journalistes afin de perpétrer des attaques en Israël ».

Concernant les territoires, FH dit « l’IDF a détruit les stations de radio et de télévision de l’Autorité palestinienne », mais poursuit : « Les médias officiels palestiniens propagent fréquemment des tribunes enflammées qui encouragent les attaques contre Israël ». RSF commentait : « Les médias palestiniens, accusés par Israël de véhiculer des appels à la violence à son encontre, ont été tout au long de l'année les cibles de l'armée israélienne ».

RSF établit une longue liste des journalistes palestiniens arrêtés et met ouvertement en doute les motifs de leur arrestation. FH se contente de dire : « l’IDF a arrêté plusieurs journalistes palestiniens sur présomption de terrorisme ».

Tandis que RSF hésite à mettre directement en cause l’Autorité Palestinienne, et ne dit pas sur quoi portent les intimidations, FH dit clairement : « La Sécurité palestinienne menace les journalistes dont le récit est défavorable à l’Autorité palestinienne et à son président Yasser Arafat. (…). Les arrestations arbitraires, menaces et agressions physiques des journalistes qui critiquent l’Autorité palestinienne sont de la routine. La radio et la télévision palestiniennes officielles sont les porte-voix du gouvernement ». Elle affirme même que « des milices affiliées à l’Autorité palestinienne ont averti les journalistes israéliens de se tenir loin des zones palestiniennes ». Comment se fait-il que RSF n’ait pas noté ce « détail » ?

Dans l’ensemble, le rapport de FH semble plus ouvert aux arguments sécuritaires annoncés par Israël que celui de RSF. Il est surtout beaucoup plus équilibré et ne craint pas de mettre en cause l’Autorité palestinienne.

Dans son préambule, RSF affirme : « Nous ne méconnaissons pas, et nous le disons, les dangers que certaines mesures, prises l'année passée par l'administration américaine dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, représentent pour les libertés individuelles, y compris la liberté de l'information. (…) Nous reconnaissons que la dépendance dans laquelle les reporters de guerre se trouvent par rapport aux autorités militaires affaiblit la crédibilité de leur information. Mais pour réels que soient de tels problèmes, ils n'empêchent pas que les Etats-Unis, l'Italie ou la France sont des pays où l'information circule relativement librement par rapport à la moyenne des pratiques mondiales ».

Pourquoi alors n’appliquent-t-ils pas pour les mêmes motifs (guerre, terrorisme) la même règle à Israël, pays où il y a le plus grand nombre de reporters au monde ? Ils le classent en 92e position sur 139 (derrière l’Autorité Palestinienne qui est 82e et derrière quelques très démocratiques pays d’Afrique et d’Asie) ! Comment s’étonner d’ailleurs de ce classement obtenu par questionnaire envoyé à des personnes « qui connaissent la situation ». L’organisation désigne une quarantaine de prédateurs de l’information. Pourquoi Ariel Sharon en fait-il partie alors que près de 50 pays (dont la Jordanie et l’Egypte, curieusement exemptés) seraient d’après ce classement dans une situation pire ? Probablement faut-il traiter cette information exactement comme la nomination de la Lybie à la présidence de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU.

Anne Lifshitz-Krams