Tribune
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Publié le 1 Août 2005

Les explications de Pascal Boniface

Dans un récent article de Libération (29 juillet 2005), intitulé « la guerre crédibilise Al Qaeda » Pascal Boniface nous donne son explication sur le terrorisme. Nous pouvons résumer simplement son argumentation par les phrases suivantes, reproduites telles quelles ou presque de l’article, réélaborés pour en faire apprécier la logique interne, sans aucune distorsion.



1° Les terroristes éprouvent de la haine pour les sociétés démocratiques occidentales.

2° De ce fait nous -vous lecteur, moi Pascal Boniface- risquons d’être victimes du terrorisme.

3° Il est vrai qu’ils nous attaquent pour ce que nous sommes.

4° Mais cela ne suffit pas à expliquer le développement actuel du terrorisme.

5° Ce développement est dû à ce que faisons.

6° Car nos actions (lire : celles des USA et de leurs alliés) nourrissent la haine : mensonges sur les armes de destruction massive irakiennes, événements de Guantanamo, Abou Ghraïb, Fallouja, manques de respect envers la population irakienne, situation des palestiniens).

7° Il faut donc mettre nos actions en conformité avec nos proclamations pour ne pas faciliter la tâche de nos adversaires et réduire l’impact du discours de Ben Laden.

CQFD…

S’il nous paraît utile de l’analyser, c’est que ce discours, presque chacun l’a entendu peu ou prou autour de lui, mezzo voce : les attentats de Londres ont provoqué un sentiment de révulsion qui a masqué dans les déclarations officielles et les éditoriaux de journaux la petite voix sous-jacente, qui une fois les premiers jours passés réapparaît ici, comme elle apparaît dans les dernières déclarations d’un Ken Livingstone, maire de Londres : et si nous étions nous-mêmes, nous les occidentaux, les responsables de cette atrocité ???

Dans cette démonstration le point le plus important est le point 6 : la guerre d’Irak a aggravé le risque de terrorisme au lieu de le diminuer ; ce n’est pas une hypothèse, c’est une constatation, même Samuel Huntington, l’homme du « choc des civilisations », même le conservateur Royal Institute for International Affairs (RIIA) l’admettent, explique Pascal Boniface dans son article.

La litanie des attentats en Irak conduit donc certains à penser que les américains, pris dans un enchaînement de violences et contre violences sont en train de déclencher l’apocalypse terroriste et de provoquer une haine bien compréhensible dans le monde musulman. Mais réfléchissons : qui sont les auteurs des attentats quotidiens en Irak et des morts par centaines ? Des groupes musulmans, sunnites pour la plupart. Qui sont les victimes quotidiennes de ces attentats qui ciblent parfois des enfants ? Des musulmans, souvent chiites. Faut-il en déduire que par leur présence, les Américains seraient responsables, seules responsables ? Et que se passait-il en leur absence, à l’époque « heureuse » où Saddam Hussein, une arme de destruction massive à lui seul, faisait la loi : des massacres par centaines, par centaines de milliers probablement, chiites en général, kurdes souvent, ou opposants présumés de toute origine, mais toujours musulmans, dans le silence des Islamistes, malgré le caractère laïc du régime… Remontons plus loin, en Syrie, le massacre de Hama (20.000 morts ?) perpétré par les frères Assad pour se débarrasser des islamistes locaux, a-t-il entraîné une réaction d’horreur dans le monde musulman (ou occidental d’ailleurs) ? Nullement. Il faut pour déclencher le sentiment de révolte islamiste internationale envers des crimes commis contre les musulmans, la présence de non musulmans, même s’ils ne sont pas les auteurs des crimes. Quant aux comportements humiliants, écoeurants, imbéciles, de certains gardiens d’Abu Ghraib et Guantanamo sur leurs prisonniers, peuvent-ils justifier une bombe qui massacre de façon indiscriminée femmes et enfants dans une rame de métro ? Dans les geôles de Saddam, les mutilations (langue, etc…) semblent avoir été assez courantes : ont-elles déclenché les mêmes foudres ?

On peut penser ce que l’on veut de l’intervention américaine en Irak, qu’elle n’aurait pas dû se faire, qu’elle aurait dû se faire d’une autre façon, pour d’autres motifs, avec d’autres méthodes, avec une autre phraséologie, etc., mais on ne peut pas laisser croire que le mauvais comportement des troupes alliées est une raison objective suffisante pour un déchaînement du terrorisme dans le monde car nul n’a tué plus de musulmans que Saddam Hussein. Ce que dit le RIIA, est que l’espace d’action des mouvements terroristes s’est accru depuis l’intervention américaine et que la propagande pour le Djihad y a trouvé de nouveaux arguments, mais ces arguments sont aussi fallacieux que les précédents.

Car là est tout le problème, et Pascal Boniface n’ose pas le développer en fin de son article : il s’agit de réduire « l’impact du discours de Ben Laden » (phrase 7). Comment ? Est-il si convaincu que si les anglo-saxons suivent en Irak les règles les plus strictes de la guerre propre (ce que du point de vue moral on peut espérer), les apprentis djihadistes vont renoncer à leurs projets ? Mais alors pourquoi ont-ils déclenché ces massacres ignobles dans cette Angleterre qui offre à l’expression de toutes les opinions, les plus aberrantes et dangereuses soient-elles, un espace de liberté inconnu dans d’autres pays ? Et Pascal Boniface espère-t-il que le départ des américains d’Irak va sceller la concorde démocratique et coupera l’herbe sous les pieds d’Al Qaeda ? C’est là sa conclusion implicite : qui peut le croire ?

Ce n’est pas ce que nous faisons qui provoque le terrorisme, mais c’est bien ce que nous sommes (phrase 3 de l’argumentation de Pascal Boniface, écrite apparemment à regret). Nous, c'est-à-dire une population de mécréants (juifs, chrétiens, mais aussi musulmans bien-pensants ou autres…) dont la mort -pensent les terroristes- ne peut que réjouir Allah. La mort de « bons » musulmans au cours d’actions terroristes (« martyres ») doit être traitée comme un simple dommage collatéral. Dans cette optique, toute action, toute décision contraire à la loi de Dieu telle qu’elle est définie par les chefs du Djihad, peut être montée en exergue : l’Irak, la Palestine sont d’excellents arguments de propagande, mais au regard d’un djihadiste bien endoctriné, la loi sur le voile, l’interdiction de la polygamie, un comportement considéré comme déviant ou la moindre remarque critique, voire la seule existence d’un membre hors du groupe de référence pourront faire l’affaire aussi bien. La lavage de cerveaux haineux, et combien efficace, tel qu’il est pratiqué par les madrasas pakistanaises ou autres, par les prédicateurs classiques ou techno-modernistes, relayés par Internet et par l’argent du pétrole, a fait des ravages bien antérieurs et bien supérieurs à la guerre d’Irak.

Et Israël dans tout cela ? Il n’apparaît dans l’article que comme une simple mention « politiquement correcte » : le jour où « les Palestiniens auront un Etat viable ». Eh bien, ce jour que nous espérons nous aussi, si rien n’est fait par ailleurs pour éradiquer le terrorisme islamiste, un autre argumentaire (le même en réalité, il suffit de lire les déclarations du Hamas…) se développera sur la nécessité de « récupérer la dernière parcelle de terre arabe ». L’émergence du terrorisme international islamiste n’a aucun lien avec les difficultés du peuple palestinien, rappelons qu’en 1993, l’année des accords d’Oslo eut lieu le premier attentat contre le World Trade Center à New-York. Les attentats de Bali, la guerre du Cachemire ou les talibans afghans n’ont rien à voir avec la Palestine qui a été longtemps oubliée par les Islamistes, néanmoins la référence s’est révélée si efficace -en milieu musulman, comme en milieu occidental- qu’elle sera réutilisée tant qu’il se trouvera des commentateurs atteints du syndrome de Stockholm, qui devraient méditer les fortes paroles de Churchill sur la guerre et le déshonneur, après les accords de Munich.

Richard Prasquier, conseiller du président du CRIF, et Marc Knobel, chercheur au CRIF