« Je suis rentré dans la Résistance au départ avec des mouvements ouvriers. Je travaillais à la centrale thermique de la Mouche. J'avais 17 ans en 40, je distribuais des tracts et des journaux clandestins. Puis je suis rentré en contact avec le réseau Charette, un réseau d'actions et de renseignement. On observait les mouvements de troupe, leur équipement. Plus tard, je suis devenu adjoint au responsable du service de l'identité et de l'impression dans la région lyonnaise. On faisait beaucoup de faux papiers pour des prisonniers de guerre évadés ou qui préparaient une évasion, mais aussi pour des juifs. J'ai été arrêté le 31 mars 44, vendu par quelqu'un de notre réseau qui a fait arrêter plusieurs personnes. L'arrestation s'est passée à l'angle de la rue Bonnel et de l'avenue de Saxe.
J'ai été conduit au siège de la Gestapo, avenue Berthelot. Là, je suis passé dans les mains de Barbie. J'ai été plongé cinq fois dans la baignoire. Il voulait connaître l'identité de mon chef. J'ai été sauvé si l'on peut dire par l'arrivée d'un autre prisonnier qui avait fait sauter cinq trains de permissionnaires allemands. On m'a alors laissé tranquille. J'ai été transféré à Montluc. Je me suis retrouvé enfermé dans ce qu'on appelait la cage aux lions. Les Allemands m'ont dit qu'ils allaient me fusiller si je ne parlais pas. Je leur ai répondu que je n'avais rien à dire. Je suis sûr que c'était un simulacre pour me faire peur. J'ai ensuite été enfermé à l'Atelier. Nous étions plus de deux cents entassés là. On était couvert de puces, de punaises. Elles nous tombaient sur la figure depuis le plafond. J'ai beaucoup souffert des puces. J'ai vu partir plusieurs gars pour être fusillés. Quand on était appelé sans bagages, c'était pour être fusillé. Avec bagages, c'était pour la déportation.
On m'a embarqué pour Compiègne le 1er mai, après un mois à Montluc. Puis le 8 mai, on nous a entassés dans des wagons direction Buchenwald. Le trajet a duré quatre jours, sans manger ni boire. Le plus dur était le manque de boisson. Je suis resté quatorze mois en déportation. J'ai été affecté à un commando pour travailler dans une usine qui fabriquait des avions. J'étais au contrôle des trains d'atterrissage avec un Belge. On ne contrôlait surtout rien et on laissait passer ceux qui étaient défectueux. Les Nazis ont ordonné l'évacuation du camp le 11 avril 45. On a fait 900 km en zigzag dans les forêts allemandes. C'est ce qu'on a appelé ensuite les marches de la mort. C'est une jeep américaine qui nous a libérés dans une clairière le 8 mai, nos gardes venaient de s'enfuir. J'avais 22 ans, je pesais 38 kg. Mais on était debout, et on marchait ».
Article publié dans le Progrès de Lyon du 14 septembre 2010
Photo (le Résistant lyonnais Jean Nallit parle à des élèves) : D.R.