Tribune
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Publié le 17 Mars 2003

Les traumatismes du 11 septembre 2001 étudiés par des psychiatres et la revue <i>Perspectives psychiatriques</i>

La ville de New York a souffert le 11 septembre 2001 d’une attaque terroriste qui a détruit le World Trade Center, entraînant la mort de 2870 personnes. La revue du Groupe d’Etudes de Psychiatrie, Psychologie et Sciences Sociales, Perspectives psychiatriques qui a été fondée en 1963, consacre un remarquable numéro (volume 41, n° 4) pour rappeler ce qu’ont été les traumatismes du 11 septembre.



Dans son article, la psychiatre Christine Anzieu-Premmereur, témoigne des réactions individuelles et collectives à ce traumatisme, rappelant par exemple que ceux qui avaient reçu par téléphone les appels d’adieu des leurs coincés dans les étages en flammes – ou condamnés à périr dans les avions détournés, s’effondraient dans la détresse ou dans la rage. L’auteur de l’article montre en particulier quelles ont été les modalités de soutien aux victimes, la recherche de symboles et l’organisation des soins psychiatriques. L’auteur révèle qu’un symposium électronique s’est tenu sur Internet, regroupant les analystes de tous horizons, qui ont discuté de l’apport des connaissances du monde intrapsychique pour comprendre cet événement. Des échanges sur la désillusion qui frappait brusquement le monde américain, sur les interrogations politiques, sur les intenses réactions de violence ou de culpabilité ont permis de retrouver la capacité de se représenter et d’analyser. Les idéaux partagés en groupe, les polémiques, les projets communs ont rempli une fonction protectrice. C’était la restauration d’un espace psychique.

Dans un autre article, Louis Cocq, qui enseigne à l’Université René Descartes (Paris V), défini le terrorisme. Le terrorisme implique selon lui l’existence de cinq sortes de « partenaires » :

1) Les commanditaires, organisations et acteurs.

2) Les victimes directes ou indirectes.

3) La population cible.

4) Les gouvernants.

5) Les médias, complices involontaires des terroristes dont ils font connaître l’existence et les actions.

Les médias d’aujourd’hui sont surtout audiovisuels et de ce fait, sont rapides, pénétrants dans tous les foyers, réalistes et émotionnants (marée émotionnelle née dès la perception de l’image et obérant ensuite toute la chaîne des processus cognitifs). Heureusement, le commentaire du journaliste vient atténuer le choc émotionnel né de la perception des images de violence et procure une effet de catharsis, ou de soulagement éclairé, précise l’auteur. Ensuite, une des fonctions des médias est d’assurer, au jour le jour après un événement violent, la gestion de l’émotion collective : choc initial, empathie pour les victimes, soutien aux sauveteurs, offrandes de déculpabilisation, deuil collectif et invite à conclure.

Le reportage en direct de l’attentat du 11 septembre 2001 à New York montre cependant comment les commentateurs, restés muets de stupeur, n’ont pas pu assurer auprès de leur public leur fonction de catharsis par délégation. Les tours, symboles de la puissance économique des Etats-Unis, de leur avancée technologique, de leur domination sur le globe, de l’invulnérabilité du sol américain, de l’attirance exercée sur les immigrants et les voyageurs, s’effondraient. Les téléspectateurs avaient assisté en direct - uniquement dans l’apparition de l’image brute – à ce désastre (choc des avions contre les tours, nuages de fumée, effondrement, enchevêtrement, poussière, cris, fuites éperdues). Comme les téléspectateurs, les commentateurs restaient muets de stupeur. Ils n’avaient pu assurer leur mission de disposer des mots en écran protecteur et réducteur face à l’incompréhensible réel du néant, et procurer ainsi, par délégation, la catharsis ou soulagement éclairé par la restitution du sens.

Daniel Dayan, directeur de recherche au CNRS et professeur de sociologie des médias à l’IEP, retrace l’événement traumatique. Selon l’auteur, il semblerait que nous soyons en guerre contre les Etats-Unis, paradoxalement érigés en ennemis à partir du 11 septembre, après les quelques jours de sympathie que leur ont value les milliers de morts de New York. Il semblerait que nous soyons également en guerre contre Israël. Mais, dans ce dernier cas, le type de journalisme qu’il met en cause, n’a pas attendu le 11 septembre pour se manifester. Le virage a eu lieu il y a environ 18 mois. Dans un cas comme dans l’autre, l’auteur s’interroge sur le sens que des journaux ou des chaînes pourtant respectés donnent à la notion d’information. Bien des textes et bien des images semblent pauvres en contenus informatifs et riches en représentations hostiles :

« La religion de l’anti-mondialisation produit (dans la presse) ses saints Jean-Baptiste moustachus. La souffrance réelle de la Palestine débouche peu à peu sur un néo-sulpicianisme (qui appartient à la Compagnie des Prêtres de Saint Sulpicien) : Saints Sébastien lanceurs de pierre, Christs re-crucifiés, Rois Hérodes destructeurs d’ambulances et tueurs de nouveau-nés. L’appareil dramaturgique du martyre, tout ce que l’anthropologue Victor Turner appelait « la pédagogie du sanctuaire » sont alors mis à contribution. Une hagiographie instantanée superpose sa piété au discours de l’information. »

La psychanalyste Janine Chasseguet-smirgel tente quant à elle de montrer pourquoi la terreur et les terroristes peuvent être idéalisés en mettant en exergue les liens existant entre le soif de pureté et la destructivité. Elle établit des rapports entre meurtre, suicide et fantasme de démantèlement de l’univers et fait l’hypothèse d’une analogie entre l’idéalisation et la terreur et certains aspects du gnosticisme. Enfin, dans un dernier article, le psychiatre Georges Gachnochi, évoque le syndrome de Stockholm qui semble se développer à une échelle mondiale est justement et précisément le moyen utilisé par le terrorisme. Il repose sur les mécanisme a psychiques aboutissant à une identification à l’agresseur, très impliqué à la problématique sado-masochiste.

Marc Knobel

Observatoire des médias


Perspectives psychiatriques, « Dossier : le 11 septembre… et après… » Coordonné par G. Gachnochi, Editions Médicales et Scientifiques, volume 41, numéro 4 (prix du numéro : 14, 50 euros.)