Moi j’appelle à ne pas avoir peur.
Quand j’avais 12, 13 ans la nuit parfois je sortais de la maison en robe de chambre et puis je marchais le parc ténébreux tremblante en me répétant : « N’aie pas peur, n’aie pas peur, non tu n’as pas peur. Dans ce parc il y avait des très grands arbres et un chemin qui menait vers cette porte par laquelle nous avions pensé nous échapper mon père et moi quand ils sont venus nous arrêter.
Depuis, toute ma vie j’ai fait appel à cet enfant qui es toujours en moi et qui a décidé une nuit au fond d’un grand parc noir de ne jamais céder à la peur. Ne pas avoir peur d’avoir mal, ne pas avoir peur de tout perdre, ne pas avoir peur d’être en rupture avec le politiquement correct, et la pensée unique, ne pas avoir peur de déplaire à l’autre, à son voisin, ne pas succomber à la facilité de la pensée commune, comme en ce moment contre Israël.
Est-ce que je dois à nouveau croire, dois-je lutter encore une fois pour ne pas avoir peur d’être juive ? C’est la peur qui rend l’homme méchant, lâche, fanatique cupide, indifférent bête et cruel. Aujourd’hui à 82 ans dans un monde à bien des égards terrifiant, je continue à faire appel à l’enfant qui est en moi pour résister à la peur et ne jamais oublier au delà de l’ignominie, l’émerveillement de la première fois. La première fois que j’ai vu la neige, la première fois que je suis passée sur un pont, la première fois que j’ai senti la pluie sur mes bras, c’est avec cet émerveillement que l’on fait des grandes choses.
Aussi ce 18 juin 2010, j’en appelle à l’enfant qui est en vous tous, hôte de ce monde, pour résister à la peur.
Source : France Inter
Marceline Loridan Ivens est réalisatrice. Elle a survécu à Auschwitz-Birkenau.
Photo (Marceline Lordian Ivens ) : D.R.