A l’occasion du 70ème anniversaire de l’injonction de ne pas désespérer, nous avons demandé à Georges Loinger, vice-président du Comité d’Action pour la Résistance, président des Anciens de la Résistance juive et délégué du CRIF pour la Résistance de nous livrer son 18 juin 1940. Georges Loinger a sauvé près de 400 enfants juifs de la déportation avec l’aide des Français Libres.
« Je suis mobilisé en 1939 dans les troupes de couverture en Alsace dès le début de la guerre et je suis prisonnier de guerre, comme mes concitoyens, durant 6 mois. Six mois durant lesquels les Allemands nous traitent convenablement, ils respectent la convention de Genève. Personnellement, j’ai pris cela comme un miracle, car je dois avouer que c’est la seule fois de ma vie où j’ai eu très peur, or je sais maintenant que les camps de prisonniers de guerre étaient les seuls endroits où les juifs n’étaient pas en danger.
Il est important de se rappeler que c’est l’état major français qui a été dépassé et qu’aucun ordre de poursuivre les combats n’est parvenu aux troupes françaises. La défaite est un drame du haut commandement français. Le soldat français n’était pas défaitiste, mais j’ai entendu un de mes lieutenants dire qu’il « ne voulait pas mourir pour Dantzig. »
Le 18 juin 1940, j’ai bientôt 30 ans, je suis prisonnier de guerre dans le stalag 7A en Bavière et j’ignore tout de l’appel du Général de Gaulle.
La figure du Général m’était connue avant guerre mais il était pour la plupart, un colonel pratiquement anonyme. Très tôt, il a prédit que du point de vue militaire la France courrait au désastre, il était partisan des régiments de tanks et des régiments d’avions comme l’on fait les Allemands. Tout le monde pouvait connaître le degré d’armement de l’Allemagne, il y avait à Berlin un ambassadeur probablement informé… En ce qui me concerne, je connaissais parfaitement la personnalité d’Hitler grâce au Dr Joseph Weill (dirigeant de l’œuvre de Secours aux Enfants) qui avait suivi dès le début ce personnage. Il avait fait lire ses projets infernaux à tous les jeunes des mouvements de jeunesse de Strasbourg, les sionistes, les orthodoxes, la communauté.
Après mon évasion d’Allemagne (j’ai refusé d’être libéré, en tant qu’Alsacien je le pouvais, avec les « Malgré nous », marché de dupes) au début de l’année 1941 je projette de rejoindre ma femme, Flore, à la Bourboule. J’avais reçu d’elle des lettres assez explicites, malgré la censure militaire en vigueur. Elle-même était déjà très active dans la prise en charge des enfants juifs. Ma rencontre avec la Résistance est presque d’ordre familial. En effet, à Clermont sont installés Benyamin et Fanny Reisel qui lorsque nous vivions à Strasbourg faisaient partie du même mouvement de jeunesse que moi, Hatikva, d’obédience sioniste. Arrivé en ville, je me présente à leur adresse ; la porte est fermée. Nous avions au mouvement de jeunesse, une façon très particulière de siffler, en signe de reconnaissance. Et je me souviens parfaitement de mes deux amis à la fenêtre, et Fanny, avant tout autre chose, disant à Benyamin : « Je t’avais bien dit que c’était le sifflet de Georges ! »
Le Dr Benyamin Reisel qui a toujours été au courant de l’existence de beaucoup de choses… m’apprend que la résistance française existe déjà. C’est donc lui qui m’a dit que le réseau Bourgogne, un petit réseau à l’époque, existait et qui m’a mis en contact avec un Juif déjà membre. J’y ai été reçu très chaleureusement, d’autant que j’étais évadé d’Allemagne.
Ca a été le début de mon engagement résistant qui s’est poursuivi jusqu’à la fin de la guerre.
Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’à cette période la première préoccupation des français était leur survie quotidienne, le Général de Gaulle était encore inconnu d’eux. »
Propos recueillis par Stéphanie Dassa
Photo : D.R.