Marc Knobel
MICHAËL PRAZAN. Pourquoi avez-vous quitté l’Iran ?
AKBAR ATRI. Après la révolution islamique, le régime de l’ayatollah Khomeyni a éliminé toute opposition, y compris celle qui émanait de groupes modérés, par une série d’exécutions, d’emprisonnements, et par une politique d’intimidation. J’avais à l’époque sept ans. À aucun moment, en grandissant, je ne me suis satisfait de ce régime. Je me suis toujours considéré comme un opposant, y compris avant de quitter l’Iran. Mon engagement dans le mouvement étudiant et mon soutien de la première heure au président Khatami étaient motivés par l’espoir d’une rénovation du système de l’intérieur. Mais après la violente répression qui s’est abattue sur les étudiants ayant pris part aux manifestations de 1999, et après le veto du guide suprême sur la loi de libéralisation de la presse, nous avons compris, moi ainsi que d’autres qui avaient soutenu Khatami, que la République islamique – en particulier parce que l’institution du guide suprême n’est pas le fruit d’une élection – était incapable de se réformer.
M. PRAZAN. Certaines institutions iraniennes, issues du suffrage universel, principalement le Parlement mais aussi les municipalités, ne sont-elles pas capables, à terme, de peser sur le système ?
A. ATRI. En Iran, les élections sont sans valeur car, d’une part, le guide suprême, le poste le plus important du pays, n’est légitimé par aucune élection et, d’autre part – à l’instar de ce qui s’est passé au mois de mars avec les députés –, parce qu’un candidat qui n’aurait pas fait clairement allégeance au pouvoir du guide suprême et aux structures de la République islamique se verrait immédiatement disqualifié. Cela implique qu’une fois élus, les parlementaires n’ont pratiquement aucun pouvoir, le Parlement étant soumis au veto du Conseil des gardiens de la Constitution, qui lui-même n’a pas été désigné par les urnes. Le guide suprême dirige pratiquement chaque institution gouvernementale et contrôle la sécurité et les services secrets qui répriment la société civile iranienne. Une vraie réforme du système en Iran implique une séparation des pouvoirs, des élections véritables et équitables, le règne de la loi et une constitution compatible avec la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le régime islamique est fondamentalement opposé à de telles réformes. Notre expérience prouve que toute tentative de réformer le système de l’intérieur est vouée à l’échec.
M. PRAZAN. Quel est le pouvoir réel d’Ahmadinejad et l’état actuel de l’opposition en Iran ?
A. ATRI. Ahmadinejad ne prend pas de décisions souveraines sans l’accord du guide suprême. Quant à l’opposition, il en existe aujourd’hui deux en Iran. La première est une opposition à l’intérieur du régime, et la seconde, largement réprimée, est celle qui tente de s’exprimer depuis la société civile. À l’intérieur du régime, il s’agit des clercs enclins aux réformes et des traditionalistes religieux pragmatiques et modérés qui tentent de limiter les pouvoirs d’une ligne dure sur laquelle s’alignent Ahmadinejad et ses séides. Mais ils ne s’opposent en aucun cas au pouvoir du guide suprême. La véritable lutte pour la démocratie se trouve donc au sein de la société civile, parmi les étudiants, les féministes, les responsables syndicaux, les enseignants, les journalistes, les minorités ethniques et religieuses qui luttent pour sauvegarder leurs libertés civiques. De tels mouvements d’émancipation vont à l’encontre des injonctions du guide suprême et se heurtent aux structures de la République islamique.
M. PRAZAN. Si l’Iran devenait un jour une authentique démocratie et renouait le dialogue avec l’Occident, quelle serait la place réservée à la religion ? La confusion du religieux et du politique est-elle compatible avec la démocratie ?
A. ATRI. Non. Réduire les tensions qu’induit tout gouvernement religieux passe nécessairement par une séparation de la religion et de l’État, afin aussi de préserver l’un et l’autre de la corruption. Par conséquent, un gouvernement démocratique en Iran ne peut être autre chose que laïque. La démocratie iranienne a besoin d’une constitution qui ne tire pas sa légitimité de la charia. Les gens peuvent être libres de reconnaître des partis politiques religieux, comme ils le font dans certaines démocraties occidentales, mais ces partis doivent en retour reconnaître la Déclaration universelle des droits de l’homme. C’est un préalable impératif pour qui veut s’inscrire dans le jeu démocratique. Personnellement, je crois que la religion est une question personnelle qui devrait être réservée à la sphère privée. Un gouvernement ne peut pas forcer son peuple à avoir la foi. La foi est quelque chose qui vient de l’intérieur de chaque être humain.
M. PRAZAN. Le régime souffle le chaud et le froid sur la question nucléaire. Que doit-on en penser ?
A. ATRI. En premier lieu, je tiens à dire que la République islamique ment. Le gouvernement prétend qu’il ne peut s’employer à construire une bombe atomique parce cela serait interdit par l’islam. Cela ne peut être vrai dans la mesure où la charia prescrit aux fidèles d’amasser les armes les meilleures et les plus efficaces pour défendre la foi.
M. PRAZAN. En cherchant à se doter de l’arme atomique, quelles sont les motivations réelles de la République islamique ?
A. ATRI. La République islamique cherche à obtenir la bombe pour plusieurs raisons. Le régime veut à la fois sécuriser son pouvoir et se préserver des menaces qui pèsent sur lui : celles qui émanent de l’arène internationale et celles de l’intérieur. En se dotant de l’arme nucléaire, le régime serait « sanctuarisé». Les slogans antiaméricains et anti-israéliens, l’idéologie politique et paranoïaque qui accuse les ennemis étrangers ont contribué à tenir debout la République islamique jusqu’à aujourd’hui. Le gouvernement iranien, en particulier Ahmadinejad, a récemment radicalisé la rhétorique nationaliste. L’objectif étant, en jouant sur la fierté nationale, de faire oublier les pressions extérieures sur les violations des droits humains.
M.PRAZAN. Reza Pahlavi peut-il être une option ? Le fils du shah est-il à même de recouvrer un pouvoir symbolique dans la perspective d’un Iran laïque et démocratique ?
A. ATRI. Je pense qu’il pourrait en effet soutenir la démocratie en Iran, mais au même titre que n’importe lequel des Iraniens qui croit sincèrement en la démocratie et se bat pour qu’elle existe. Mon combat, c’est celui d’un État démocratique et laïque. Et, comme je l’ai dit, mon espoir est partagé par tous ceux qui militent pour les libertés civiles en Iran.
*AKBAR ATRI a fondé en Iran le mouvement Étudiants pour la démocratie et les droits de l’homme. Il a dû quitter ce pays début 2005 pour éviter la prison. Il vit aujourd’hui aux États-Unis.