Une réunion sur Israël avec Stéphane Hessel aurait été annulée sous la pression du Conseil représentatif des institutions juives de France. Faux, s'indigne Raphaël Enthoven, philosophe et chroniqueur à L'Express.
« "Effarante censure", "terrible atteinte à la liberté d'expression", "indignation", "déshonneur", "démission"!... On ne compte plus les injures et les anathèmes qui pleuvent sur la tête de la directrice de l'Ecole normale supérieure, Monique Canto-Sperber, depuis l'annulation d'une "conférence-débat" qui devait se tenir sur Israël, dans les murs de l'Ecole, autour de Stéphane Hessel. Or, l'honnêteté commande d'apporter quelques précisions à ce sujet.
Comme le rappelle un communiqué de la direction, les organisateurs de ce "colloque" n'ont pas dit toute la vérité: c'est, au départ, pour une "discussion entre Stéphane Hessel et quelques normaliens" - et non pour une réunion publique relayée, entre autres, par une organisation pro-palestinienne - que la salle a été officiellement réservée. Si l'on excepte les raisons de sécurité, un tel mensonge est en lui-même un motif suffisant d'annulation. Mais le problème n'est pas là.
Dans une tribune récemment parue dans Libération, sept professeurs de l'Ecole normale expliquent que c'est "à la demande" du CRIF, sous son "diktat", que la réunion a été annulée, ce qui est grotesque et, pour tout dire, un peu pestilentiel. Certes, le CRIF a cru bon, dans un communiqué de son président, Richard Prasquier, de se réjouir de l'annulation d'un "scandaleux colloque" qui, selon lui, était en réalité destiné à soutenir le "boycott des produits israéliens". Mais à aucun moment, le CRIF n'a revendiqué le moindre rôle dans une telle décision. Rien n'autorise à établir - comme le font sans vergogne les signataires de la tribune et le site Mediapart - la moindre influence du CRIF sur la décision de la directrice de l'ENS. Qu'importe. Le CRIF s'en réjouit? Donc, il en est l'instigateur! CQFD. Quand il s'agit des juifs, on ne croit plus au hasard. Les coïncidences sont toujours des collusions.
Enfin, le plus important: ce "débat" n'avait de "débat" que le nom. Qu'on en juge par ses participants: Stéphane Hessel, Gisèle Halimi, Leïla Chahid, Nurith Peled... Tous défendent - comme c'est leur droit - des positions quasiment identiques sur le conflit israélo-palestinien. Si censure il y a, elle est uniquement dans l'absence de contradiction à la tribune d'un "débat", dans l'absence d'altérité à la tribune d'une "rencontre". Jusqu'à nouvel ordre, l'ENS n'est pas la Mutualité, mais un lieu d'échanges, de confrontations, d'ouverture, bref, de débat. La réunion du 18 janvier n'y avait pas plus sa place qu'un meeting en faveur du "Grand Israël", lequel eût été annulé de la même manière et - à juste titre - dans l'indifférence générale. »
Article publié sur lexpress.fr dimanche 23 janvier 2011
Photo : D.R.