Que les soutiens de l’Etat juif s’angoissent tandis que ses détracteurs triomphent, rien que de très classique. L’observateur objectif, lui, doit faire le constat suivant : le sommet Benyamin Netanyahou/Barack Obama et les deux discours de ce dernier – tenus respectivement les 20 et 22 mai avant l’entrevue puis devant les lobbyistes de l’AIPAC – ne traduisent aucun changement de fond dans la politique des Etats-Unis vis-à-vis d’Israël.
Sur la forme, il est vrai, ce président-là n’a jamais montré de ferveur pour Netanyahou, et leur récente rencontre fut aussi fraîche que les deux précédentes. Sans doute ne souhaite-t-il pas offrir à ce grand communiquant, excellent connaisseur du peuple américain et de ses élites, sourires généreux et accolades fraternelles qui pourraient laisser croire qu’il ne lui demande rien ni ne critique sa politique. D’où l’impression fort désagréable pour l’Israélien de la rue – fut-il de gauche – d’un président américain distant et sourd à ses inquiétudes. Cette « bouderie » s’est par exemple exprimée dans le timing, Obama choisissant de mentionner les frontières du 4 juin 1967 quelques heures seulement avant sa rencontre avec un Netanyahou nationaliste dirigeant une coalition… nationaliste. Une même raideur de style – ou une vraie franchise ? – aura aussi caractérisé l’intervention du président devant l’AIPAC réunie en convention. Mais la nostalgie des Israéliens pour les effusions d’empathie d’un Reagan, d’un Clinton et surtout d’un George W. Bush constitue un prisme déformant qui leur fait perdre de vue l’essentiel.
Or c’est bien sur le fond qu’Obama représente la continuité. Car enfin, qu’a-t-il bien proféré de sensationnel pour faire dire à nombre d’observateurs qu’on assistait à un changement d’attitude envers Israël ? Qu’un compromis devait être basé sur les frontières de 1967, cette fameuse Ligne verte qui avait prévalu entre Israël et la Jordanie jusqu’à la guerre des Six Jours. La belle affaire ! De la résolution n°242 du Conseil de sécurité (1967) aux paramètres Clinton (2000), en passant par les accords israélo-palestiniens d’Oslo (1993), la plateforme du parti travailliste, et même… le département d’Etat américain, il s’agit-là d’un principe universellement admis. Mieux : Obama a répondu fidèlement aux attentes de l’opinion israélienne majoritaire – comme ses prédécesseurs depuis au moins Reagan (1981-89) – en préconisant des « rectifications de la frontière négociées par les parties elles-mêmes » (donc, et c’est fondamental, sans les imposer de Washington) en fonction des « nouvelles réalités démographiques ». Par ces deux formulations, il aura évoqué explicitement les quatre blocs d’implantations occupant environ 15% de la Cisjordanie et que, parce que situés face à Tel-Aviv et autour de Jérusalem, la plupart des Israéliens veulent voir annexés, s’inscrivant dans la droite ligne des promesses écrites faites par George W. Bush à Ariel Sharon en 2004.
En outre, il a rappelé la nécessaire démilitarisation du futur Etat palestinien, a réitéré à l’encontre du Hamas les exigences du Quartette, et surtout – douche froide pour Mahmoud Abbas – a enjoint l’Autorité palestinienne à ne pas déposer à l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre 2011, son projet de reconnaissance d’un Etat sur les frontières de 1967.
On aura connu pression plus sévère… Du reste, si Obama avait voulu donner du poids à ses manifestations d’impatience, il les aurait assorties de menaces de sanctions concrètes. Avant lui, Truman en 1948-49, Eisenhower en 1956, Carter en 1977-79, et surtout George Bush père en 1991 avaient déjà menacé des gouvernements hébreux de sanctions économiques et/ou diplomatiques dans différents dossiers. Non seulement lui ne le fit pas, mais encore soutint-il fermement Israël contre l’adoption par l’ONU du rapport Goldstone (été 2009), et dans la calamiteuse affaire de la flottille pour Gaza (mai-juin 2010). Il faut dire qu’entre temps, Netanyahou avait admis publiquement la perspective de la solution à deux Etats et obtenu de sa coalition le gel de dix mois de la construction dans les implantations.
Au final, que reste-t-il de nouveau ? Rien, si ce n’est l’appel pressant d’Obama à reprendre, en plein printemps arabe, les pourparlers. Une pression ? Non, un conseil avisé.
(1) Docteur en géopolitique, maître de conférences à Sciences-Po Paris et professeur à l’ESG Management School. Auteur de Atlas géopolitique d’Israël (Autrement, 2008), et de Comprendre la géopolitique (Points-Seuil, 2011).
(Article publié dans le Figaro du 24 mai 2011)
Photo (Frédéric Encel) : D.R.