Comme tel, il est du devoir de chacun de s’en rappeler et d’en tirer les leçons.
Comme chaque année, ce 7 avril 2010, nous évoquerons le souvenir de cette terrible tragédie.
Au Rwanda, ce sont près d'un million de Tutsi qui ont été vilipendés, insultés, dénoncés, pourchassés, massacrés de sang-froid par leurs voisins de toujours. Un génocide, ce n’est pas seulement un drame politique et humain: c’est le paroxysme de la haine, c’est l’envers de l’humanité, et c’est un avertissement pour le reste du monde. Malgré toute la conviction qu’ont pu porter les signataires de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, représentants des pays du monde entier, l’indifférence a tissé sa toile et pris son lot de responsabilité dans cette tragédie. Fermer les yeux sur les conséquences de ses actes, c’est choisir l’indifférence, c’est fuir la responsabilité morale.
Cette leçon est difficile à affronter, mais il est tout aussi insupportable de persister à la nier. Faisons en sorte que le 7 avril permette de la faire résonner bien au-delà des lieux de l’extermination.
Il y a deux mois, Nicolas Sarkozy a été le premier président français à se rendre au Rwanda depuis 1994. Il a rendu hommage aux victimes du génocide. Ce geste politique honore la France en venant tourner la page de discours et positionnements pour le moins ambigus exprimés jusque là par de trop nombreux hauts responsables politiques français. Les responsables politiques d'aujourd'hui doivent être prêts à s'engager dans un travail de mémoire.
Ce travail de mémoire est impérieux, autant pour rendre hommage aux victimes innocentes massacrées sous les coups de machettes que pour l’éducation des générations futures. Ce qu’il manque aujourd’hui en France, ce n’est pas tant la connaissance des faits historiques concernant le génocide des Tutsis, quoique de nombreux aspects restent à étudier et à éclaircir. Ce qu’il manque aujourd’hui en France, c’est un moyen de transmettre ces connaissances et d’interroger la part de responsabilité qui réside dans l’indifférence.
Pourquoi les manuels d’histoire des écoliers restent muets sur le génocide au Rwanda ? Sans transmission de connaissances, quels enseignements ont été tirés à ce jour ? Quelles structures ont été construites pour nous alerter de toute prémisse génocidaire, quelles institutions bâties pour en finir une fois pour toutes avec l’indifférence ?
Le travail de mémoire est un devoir qui doit résonner comme une mise en garde. Cet avertissement, entendons-le avec humilité. Il ne s’agit pas de professer une énième fois que le temps des génocides est révolu. Seule l’indifférence rend complice et permet aux bourreaux de se laisser porter au fur et à mesure par leurs pulsions destructrices. Transmettre cette mémoire, c’est permettre aux générations futures d’avoir le sursaut moral nécessaire pour se dresser contre les projets génocidaires en cours. Malgré ce que l’on veut croire, un génocide ne s’improvise pas du jour au lendemain. Il prend ses racines à travers différentes étapes qui testent nos réactions. Le dernier génocide du 20ème siècle doit être présent à l’esprit de tous, et il oblige à ce qu’on lui dédie un espace symbolique.
L’édification d’un lieu de mémoire est demandée inlassablement par les victimes depuis de nombreuses années. Répondons-y favorablement, non pas simplement pour accorder aux rescapés un endroit de recueillement, mais aussi parce que nous, Français, avons besoin d’avoir en tête la mémoire de la tragédie rwandaise. Nous ne connaissons que trop bien la dimension universelle du processus génocidaire pour faire l’erreur de renvoyer les survivants à leur propre histoire. Consacrons maintenant un lieu qui permettra à chacun de s’incliner devant les victimes du génocide, comme le Président s’est incliné devant leur martyr au Mémorial de Gisozi. Un lieu où nous pourrons évoquer la responsabilité de la France et rappeler le travail qui reste à faire aujourd’hui. Un lieu qui permettra de transmettre la mémoire, pour les générations à venir, de manière pédagogique et universaliste, pour faire en sorte qu’elles ne soient pas, contrairement à nous, témoins d’autres génocides.
Ce 7 avril, comme chaque année, en l’absence de lieu dédié, nous nous réunirons à 16 heures devant le Mur Pour la Paix pour la commémoration. Comme chaque année, nous appellerons les pouvoirs publics à consacrer un lieu de mémoire dans Paris. Jusqu’à quand ?
Marcel Kabanda, président de l’Association Ibuka
Arielle Schwab, présidente de l’Union des Etudiants Juifs de France
Dominique Sopo, Président de SOS Racisme
(Tribune publiée sur le nouvelobs.com, mardi 6 avril 2010-04-08)
Photo : D.R.