Tribune
|
Publié le 7 Mai 2010

Pétitions et «raisons», par Meïr Waintrater

Il en va de la vie juive comme des rapports d’amitié ou des relations amoureuses : rien ne vaut une bonne petite crise pour mettre les pendules à l’heure. C’est ce que nous vivons en ce moment.




Je veux parler, bien sûr, du manifeste lancé depuis Bruxelles par un certain nombre de personnalités juives, sous l’intitulé «Appel à la raison». Un appel dont les signataires disent leur préoccupation devant la situation actuelle au Proche-Orient, en des termes qui ont aussitôt suscité le lancement d’un contre-appel par plusieurs personnalités juives françaises.



Je ne vous dirai pas de quel côté vont mes préférences, parce que lorsque j’ai pris la responsabilité éditoriale de L’Arche, j’ai décidé de m’imposer à moi-même un devoir de réserve sur les grands sujets prêtant à controverse au sein de la communauté juive. Ce devoir de réserve, je l’ai observé jusqu’ici et je n’ai pas l’intention d’y déroger. Par ailleurs, j’ai des amis dans les deux camps (si tant est que l’on peut parler de camps), et des chroniqueurs réguliers de L’Arche figurent parmi les signataires des deux pétitions qui circulent en ce moment.



Cependant, il y a une question de principe à laquelle on ne peut échapper : un Juif qui ne vit pas en Israël peut-il, ou doit-il, prendre position sur des questions essentielles relatives à l’État d’Israël ?



On entend souvent dire que la seule attitude légitime serait une sorte de suivisme inconditionnel à l’égard du gouvernement israélien. Or une telle attitude serait intenable. Humainement d’abord, parce que la grande majorité des Juifs français ont en Israël des parents proches, et qu’ils ne peuvent être neutres lorsqu’il y va de leur sécurité et de leur avenir. Politiquement ensuite, parce que les gouvernements changent, et les positions des gouvernements évoluent. Il est donc naturel que des Juifs français cherchent à penser par eux-mêmes, et que le cas échéant ils s’expriment. C’était vrai quand Israël était dirigé par un gouvernement de gauche, et cela reste vrai quand Israël est dirigé par un gouvernement de droite.



Mais il est évident que la décision revient, en dernière instance, aux citoyens israéliens. Et le débat, ici comme là-bas, doit rester mesuré, dans l’écoute et le respect mutuels.
L’écoute : c’est peut-être ce qui manque le plus, aujourd’hui, dans la vie juive.



(Billet diffusé sur Radio Communauté Juive le 5 mai 2010.)



Photo : D.R.