Tribune
|
Publié le 1 Avril 2003

Pierre-André Taguieff (directeur de recherche au CNRS, Paris, CEVIPOF)

L’émergence d’une judéophobie planétaire: islamisme, anti-impérialisme, antisionisme.



Nous reproduisons pour information ci-après et avec l’autorisation de son auteur et de Michel Korinman, Directeur de la revue française de géopolitique, Outre-Terre, un extrait d’un chapitre d’un article de Pierre-André Taguieff, L’émergence d’une judéophobie planétaire: islamisme, anti-impérialisme, antisionisme, pp.189 – 229), qui a été publié dans le numéro 3 de la revue (Editions Erès – 11, rue des Alouettes, 31520 – Ramonville Saint Agne). Nous remercions l’auteur et le directeur de la publication de nous accorder le droit de reproduire ce très large extrait.

Marc Knobel


La nazification d’Israël ou le retournement antijuif de l’antiracisme (pp. 197-203)

La nouvelle vague antijuive, qui se manifeste planétairement par des discours d’accusation autant que par des actions violentes, est portée à la fois par l’islamisme radical, de façon ouverte, et par le nouveau gauchisme tiers-mondiste, d’une façon plus ou moins voilée (à travers l’antisionisme radical ou absolu). La nouvelle judéophobie se fonde sur un amalgame polémique entre Juifs, Israéliens et « sionistes » (1), ces derniers étant fantasmés comme les représentants d’une puissance maléfique, et elle se constitue autour d’un noyau idéologique bien défini: ce que j’ai appelé l’antisionisme absolu, qui, sur la base d’une délégitimation sans réserve de l’État d’Israël, prône ouvertement ou non son démantèlement, ou sa destruction violente. Cet « antisionisme » extrémiste ne relève donc pas d’une critique légitime de la politique mise en œuvre par tel ou tel gouvernement israélien, ni même d’une mise en question du projet sioniste tel qu’il s’est historiquement défini, afin de donner une « solution » à la « question juive ». L’antisionisme absolu revient à nier le droit à l’existence d’Israël alors même que cet État existe et que des citoyens israéliens le reconnaissent comme le leur, il constitue un appel à son élimination. Voilà ce qui surgit et se diffuse, sans reproduire un modèle historique connu: une vision diabolisante des Juifs, assimilés à l’entité mythique censée incarner une puissance maléfique: « les sionistes », accusés litaniquement de « racisme », de « fascisme », d’« expansionnisme », d’ « impérialisme », d’« apartheid » et de « génocide » (ou, plus précisément, de « palestinocide »). Cette vision dite « antisioniste » enveloppe des appels à la haine, voire au meurtre. L’assassinat de Daniel Pearl, journaliste américain forcé, devant les caméras de ses tortionnaires islamistes au Pakistan, de confesser ses origines juives, avant d’avoir la tête tranchée, illustre la violence extrême à laquelle peut conduire l’islamisme djihadiste aujourd’hui, au nom d’un « antisionisme » démonologique. Les massacres de civils commis en Israël par les « islamikazes » palestiniens du Hamas ou du Djihad islamique (2), mais aussi du Tanzim et des Brigades al-Aqsa (organisations liées au Fatah de Yasser Arafat) (3) en constituent une autre illustration. Autre pratique de la terreur antijuive: l’attentat-suicide commis par un islamiste de l’organisation d’Oussama Ben Laden (4), le 11 avril 2002, contre la synagogue de Djerba (Tunisie), le lieu de pèlerinage le plus vénéré du judaïsme séfarade (après le Mur des Lamentations), un attentat qui a fait 21 morts (dont 14 touristes allemands) (5). Ces attentats-suicides visant à tuer des Juifs en tant que juifs, civils ou non, relèvent du crime contre l’humanité, comme l’a reconnu un rapport d’Amnesty International rendu public en juin 2002 (6). L’« antisionisme absolu » est devenu le mode de légitimation le plus courant, avec le prétendu « anti-impérialisme » visant essentiellement les États-Unis, de crimes contre l’humanité que les héritiers contemporains du stalinisme et du nazisme, de concert avec les masses fanatisées par la propagande islamiste, applaudissent plus ou moins bruyamment.

La nouvelle idéologie antijuive qui s’est constituée puis imposée depuis l’été 1967, à la suite de la Guerre des Six Jours (5-10 juin 1967), ne doit pas être comprise comme une nouvelle forme de racisme visant les Juifs, elle ne se fonde pas sur une doctrine des races, elle n’est pas un racisme antijuif (même si elle met en œuvre des mécanismes classiques de racisation), elle se présente et s’affirme au contraire comme un antiracisme accusant les « Juifs-sionistes » d’être racistes. La nouvelle judéophobie ne représente pas une nouvelle figure du racisme biologique classique, elle ne saurait être analysée comme une survivance ou une réactivation conjoncturelle du vieil antisémitisme racialiste. Elle illustre à la fois l’instrumentalisation médiatique ordinaire de l’accusation idéologiquement standardisée de « racisme » et le retournement de cette accusation contre l’entité mythifiée puis démonisée « Juifs-Israéliens-sionistes ». Cette opération rhétorique de rétorsion d’argument accusatoire constitue bien entendu un puissant mode de délégitimation de l’adversaire, traité en ennemi absolu. Pour simplifier l’analyse de cette grande transformation idéologique et discursive, disons que la vision antijuive passe d’un code symbolique à un autre, à savoir du code racialiste (c’est-à-dire de la problématique du racisme « scientifique » stricto sensu), impliquant des schèmes de pensée rigides et clairement identifiés (donc identifiables), à une multiplicité de modes de racisation, souvent non reconnus (ni reconnaissables) comme dotés de la même force de rejet ou de haine que les thèmes ou les arguments du racisme classique. On passe en même temps d’une idéologie antijuive explicite, ou si l’on préfère explicitée dans les discours qui la diffusent, à une nébuleuse de stigmatisations et d’accusations indirectes, subtiles, jouant sur le registre de l’allusion ou de la suggestion, recourant à l’euphémisation, au sous-entendu ou à l’implicite. Cette multiplicité, cette plasticité et cette implicitation font qu’est toujours possible la dénégation du caractère « raciste » ou « antisémite » d’un énoncé même violemment antijuif. La nouvelle judéophobie présente ainsi nombre de caractéristiques que l’on rencontre dans le « racisme symbolique » tel qu’il a été conceptualisé par divers sociologues ou psychosociologues américains dans les années 1970 et 1980, ainsi que dans ce que j’ai appelé au début des années 1980 le « néo-racisme différentialiste et culturel ». Dans toutes ces formes émergentes d’hétérophobie, la charge de haine, de rejet ou de négation de l’autre (de telle ou telle catégorie d’autres) n’est pas immédiatement perceptible, elle ne relève plus de l’évidence, parce qu’elle use des évidences idéologiques dominantes, s’empare des représentations sociales courantes, puise dans les clichés imposés par les modes intellectuelles et médiatiques. Fabriquer du discours antijuif avec des positions anti-Sharon, par exemple, en France, en Italie ou en Belgique, c’est l’enfance de l’art. Le judéophobe hypocrite ou pusillanime s’affirmant « simplement » anti-Sharon joue sur la diabolisation médiatique préexistante du personnage, il intrumentalise une représentation sociale négative, largement incrite dans l’opinion, voire dans les mentalités, pour exprimer sa haine des « Juifs-Israéliens-sionistes » sans prendre le risque d’être accusé d’antisémitisme. La réplique du judéophobe masqué est du type: « Je ne suis pas judéophobe, je suis sharonophobe ». Affirmation difficilement réfutable, car il est vrai que l’on peut juger désastreuse l’action du général Sharon ou de son gouvernement sans être pour autant antijuif. Ainsi, parce que tout sharonophobe n’est pas logiquement un judéophobe, les vrais judéophobes peuvent se présenter en « simples » sharonophes. Ils peuvent répliquer vertement, à ceux qui les accusent d’être en réalité antijuifs, de ne faire qu’exercer leur liberté de jugement politique, et dénoncer l’intolérable « censure » qui les empêcherait de dire ce qu’ils pensent. Depuis l’arrivée d’Ariel Sharon à la tête du gouvernement israélien, en 2001, la sharonophobie constitue le principal registre symbolique sur lequel se déploie la haine antijuive. Mais, rappelons-le, si les prétextes et les alibis changent, l’intentionnalité judéophobe demeure: en la matière, il y a eu un avant-Sharon, il y aura un après-Sharon. Les haines ciblées, devenues plis mentaux, sont inventives: elles imaginent ou découvrent toujours de nouvelles figures, de nouveaux vecteurs ou supports. Cette aptitude à la transformation indéfinie, sur la base de noyaux thématiques relativement stables (le complot, le meurtre rituel, etc.), montre que l’imagination judéophobe ne cesse de travailler, de s’adapter et de se réadapter aux changements du milieu politico-médiatique, de faire des détours, de se travestir lexicalement, au point d’être méconnaissable dans les ruses qu’elle déploie.

Cette capacité de métamorphose idéologique ou d’adaptation à la conjoncture (aux variations de la doxa) a notamment pour conséquence de rendre la lutte contre la nouvelle judéophobie infiniment plus difficile que ne l’était la lutte contre le vieil antisémitisme à base racialiste (de type néo-nazi, par exemple). La nouvelle judéophobie ainsi définie n’est donc pas un néo-antisémitisme, mais bien un post-antisémitisme. Il est donc capital de relever cette métamorphose du discours antijuif contemporain, saisi dans ses aspects nouveaux et désormais largement dominants. Le système de mise en accusation des « Juifs-sionistes » est, plus précisément, fondé sur le noble appel aux droits de l’homme, sur l’invocation de « la Justice » contre toute oppression, sur l’exigence louable d’une « paix juste » ou sur l’incitation à lutter « contre le racisme ». Mais ces idées sublimes et ces nobles sentiments font l’objet d’une corruption idéologique due à leur infléchissement à la fois populiste et misérabiliste. J’entends ici par « populisme » une idéalisation ou une transfiguration du « peuple » - pris dans sa partie « basse » (latin plebs) et non pas dans sa totalité (populus) - en tant qu’il serait seul porteur de qualités humaines et de vertus natives: il s’ensuit que les représentants du « peuple » (plébéiens, prolétaires, classes populaires, ouvriers, etc.), celui-ci étant naturellement et intrinsèquement bon, sont par définition jugés meilleurs que n’importe quel membre d’une catégorie sociale non populaire. La conviction populiste peut se résumer ainsi: « Ils (ceux d’en bas) sont meilleurs que nous. » Quant au « misérabilisme », il implique de célébrer un groupe social en tant qu’il serait seul ou particulièrement « souffrant », « pauvre », « misérable » ou « désespéré », donc digne de compassion, de l’exalter à travers les privations, les « exclusions », les déficiences et les misères qui autorisent à l’instituer en « victime ». Lorsque la catégorie de « victime » est illustrée, que la « victime » est désignée, le parti pris en sa faveur suit automatiquement. Et ce, que la catégorie victimaire soit incarnée par « les sans-papiers » (ou les « sans-travail », les « sans-logis », etc.) en France ou par « les Palestiniens » (les « sans- État ») au Proche-Orient. La démagogie islamiste et la démagogie néo-gauchiste se rejoignent dans le recours aux évidences toutes faites du populisme misérabiliste, dont l’axiome central est ainsi formulable: « Ils sont meilleurs que nous (que tous les autres) parce qu’ils souffrent plus que nous (que tous). (7)» Telle est la logique normative qui dicte le choix inconditionnel en faveur des « pauvres », des « faibles », des « démunis » ou des « opprimés ». Comment ne pas défendre les « victimes » contre leurs « bourreaux »? Les Palestiniens-victimes contre les Israéliens-bourreaux? Ce mythe manichéen est indéfiniment monnayé en slogans. C’est sur la base de ces présuppositions que fonctionnent l’antisionisme absolu et le pro-palestinisme compassionnel, dont les idéologues vont jusqu’à dénoncer un « complot sioniste» contre les « victimes ». Des « victimes » titulaires. C’est pourquoi l’instrumentalisation de l’humanitarisme et de l’antiracisme à des fins antijuives est au cœur de la nouvelle judéophobie. L’abbé Pierre, l’ami de Roger Garaudy et l’ennemi du « lobby sioniste mondial », l’abbé des « pauvres », le « saint homme » le plus aimé des Français, symbolise, depuis ses déclarations de juin-juillet 1996 contre le « mouvement sioniste » qui « intrigue mondialement », la relative continuité entre l’antijudaïsme chrétien et la nouvelle judéophobie, à base d’antisionisme démonologique et de négationnisme (8) Le plus médiatique des démagogues du « mouvement anti-mondialisation », au printemps 2002, n’a pas hésité à attribuer les violences antijuives en France aux « services secrets » du gouvernement israélien, relançant ainsi les vieilles accusations conspirationnistes contre les Juifs, traités comme des manipulateurs sans scrupules. Écoutons le message de José Bové, qui a naturellement rejoint Attac en août 2002: « Il faut se demander à qui profite le crime. Je dénonce tous les actes visant des lieux de culte. Mais je crois que le gouvernement israélien et ses services secrets ont intérêt à créer une certaine psychose, à faire croire qu’un climat antisémite s’est installé en France, pour mieux détourner les regards. (9)» Les actes antijuifs commis en France ne sont donc pas niés, ils sont dénoncés comme des manipulations « sionistes », thèse qui implique que la montée de la judéophobie soit réduite à un mensonge de propagande entretenant une illusion collective. L’agitateur Bové reprend ainsi fermement le flambeau des mains tremblantes de l’abbé Pierre.

Le postulat de cet « antisionisme » satanisateur est donc que « le sionisme » incarne par excellence, aujourd’hui, « le racisme » et « le colonialisme », et qu’il s’inscrit dans une puissante structure occulte aux dimensions planétaires (« complot sioniste mondial », « lobby juif mondial », etc.). À l’amalgame entre « sionisme » et « racisme » de type colonialiste s’ajoute l’assimilation polémique du « sionisme » avec le racisme génocidaire de type nazi, d’où l’accusation de « palestinocide »: le thème d’accusation consiste à attribuer à l’État d’Israël un programme d’extermination systématique des Palestiniens en tant que Palestiniens, ce qui définit un projet raciste. La dénonciation « antiraciste » d’Israël paraît ainsi légitime. La nazification d’Israël implique que les « Juifs-sionistes » seraient passés du statut de « victimes » à celui de « bourreaux »: ils peuvent dès lors être stigmatisés comme les « nazis » d’aujourd’hui. Et l’on peut s’indigner (ou faire mine de s’indigner) de ce que ces « nouveaux nazis » continuent d’exploiter leur « capital victimaire », ou de tirer parti de leur « capital moral » (10), bref, instrumentalisent cyniquement la mémoire de leurs souffrances passées (11) Quant aux Palestiniens, ils se transforment en peuple-victime par excellence: pauvres, démunis, opprimés, dominés, humiliés, etc. Ils seraient les « nouveaux Juifs » écrasés par la puissance aveugle et cruelle des « nouveaux nazis ». Une formule-slogan de l’intellectuel palestino-américain Edward Said résume cette vision, fondée sur un transfert victimaire et un jeu de substitutions: « Les Palestiniens sont les victimes des victimes.(12) » Plus précisément, le peuple palestinien est transfiguré en peuple de « héros » et de « martyrs », jusqu’à être christifié en peuple d’enfants-martyrs, ce qui réactive le vieil imaginaire antijuif du meurtre rituel (égorger un enfant non juif pour en recueillir le sang), passé du christianisme médiéval à certains milieux arabo-islamiques contemporains (on sait que le ministre syrien de la Défense, Mustapha Tlass, lui a consacré un livre: Le Pain azyme de Sion, pamphlet antijuif paru à Damas en 1985) (13). Les accusations stéréotypées dérivées de la légende du « meurtre rituel » sont applicables dans la plupart des contextes où l’objectif est de diaboliser les Israéliens. Il en va ainsi de cette phrase passe-partout extraite d’un discours prononcé par Arafat le 15 mai 2001, et dont nombre de variantes ont été proférées en avril 2002: « Le bourreau se délecte du sang palestinien versé, grâce à la machine militaire aveugle et à la protection internationale que lui ont accordée des puissances influentes et hégémoniques au sein de la communauté internationale. (14)» Autres rumeurs diabolisantes et criminalisantes contre l’armée israélienne lancées en avril 2002, complaisamment reprises par certains médias, diffusées par des professionnels ou des amateurs sur le Web: le meurtre d’un prêtre chrétien, des viols de « bonnes sœurs », des tirs sur la statue de la Vierge dans l’église de la Nativité à Beethléem, des massacres systématiques de « civils » (femmes et enfants compris), des humiliations volontaires (obliger les Palestiniens à boire leur urine, etc.), des vols dans les maisons visitées, le pillage systématique des bijouteries, etc.

L’opposition manichéenne sommaire entre « bourreaux » et « victimes », « dominants » et « dominés », « riches » et « pauvres », « forts » et « faibles », une fois intériorisée, se traduit mécaniquement par une préférence misérabiliste pour le peuple supposé incarner la série « victimes », « dominés », « pauvres », « faibles ». Mais si l’État d’Israël, réalisation du projet sioniste, est un « État raciste », « impérialiste » et « oppresseur », alors non seulement la « résistance » est nécessaire, mais celle-ci peut utiliser tous les moyens, y compris la violence terroriste, pour atteindre la bonne fin: éliminer le supposé « État raciste » et « fasciste ». Les « souffrants », les « humiliés » et les « désespérés » ont tous les droits, y compris celui de commettre des attentats-suicides provoquant la mort de civils du peuple-ennemi. D’où les appels à la haine, voire au meurtre, lancés de façon récurrente lors des manifestations « pro palestiniennes » (du moins dites telles) en France depuis octobre 2000 (« Mort aux Juifs », « les Juifs au four », « Juifs assassins », etc.), visant indistinctement les « Juifs », les « Israéliens » et les « sionistes ». Dans ces manifestations, des islamistes (notamment du Hezbollah) prônant le djihad contre « les Juifs » côtoient régulièrement des associations franco-palestiniennes, des représentants des partis de gauche …

Cet extrait n’engage que la responsabilité de son auteur

NOTES

(1) Voir mon livre La Nouvelle judéophobie, Paris, Mille et une nuits, 2002, p. 12-13.

(2) Le Hamas (Mouvement de la résistance islamique) a été créé par la Société des Frères musulmans en 1987 (peu après le déclenchement de la première Intifada). La branche armée du Hamas porte l’appellation de Brigades Izz al-Din al-Qassam. Le Djihad islamique (palestinien) a été fondé à Gaza en 1982 en vue de créer un État islamique en Palestine. Ces deux organisations ont lancé des opérations-suicides à partir de 1994.

(3) Le Tanzim (« Organisation ») constitue une milice armée du Fatah, dont Marwan Barghouti était le commandant présumé jusqu’à son arrestation par les Israéliens le 15 avril 2002. Les Brigades al-Aqsa constituent une milice palestinienne fondée au début de la seconde Intifada, à l’automne 2000.

(4) Il convient de rappeler que la dénomination neutre « Al-Qaida » (littéralement: « L’organisation », « La base », etc.) masque ou fait oublier la signification djihadiste précise de cette organisation transnationale ou de ce réseau mondial, parfaitement explicitée par l’auto-caractérisation du « Front islamique mondial pour le djihad contre les Juifs et les Croisés », dont la création et la charte ont été rendues publiques au printemps 1998 (traduction française dans la revue L’Arche, n° 524-525, octobre-novembre 2001, p. 50-51). Voir les références citées dans mon livre La Nouvelle judéophobie, op. cit. , p. 57-58.

(5) Ce chiffrage a été rendu public par diverses agences de presse entre le 23 et le 25 juin 2002. Après un long silence, l’organisation Al-Qaida a fini par revendiquer l’attentat-suicide. Dans un entretien enregistré sur une cassette audio, diffusé dans la nuit du 22 juin 2002 par la chaîne de télévision qatarie Al Jazira, le porte-parole d’Al-Qaida, Abou Ghaith, revendique en ces termes l’attentat: « Cette opération a été exécutée par le réseau Al-Qaida. Un jeune n’a pas supporté de voir massacrer et assassiner ses frères en Palestine (...) tout en voyant des Juifs prendre du bon temps à Djerba. Alors l’esprit du djihad s’est manifesté et il [le membre d’Al-Qaida] a exécuté cette opération avec succès. Que Dieu l’accepte. » Voir Claude Meyer, « Al-Qaida revendique l’attentat de Djerba », Actualité juive, n° 754, 27 juin 2002, p. 28.

(6) Dans son septième rapport sur la situation au Proche-Orient, « Atteintes au principe de distinction: les attaques contre des civils perpétrées par des groupes armés palestiniens », rendu public le 11 juillet 2002, Amnesty International applique aux attentats terroristes commis en Israël par les « bombes humaines » palestiniennes et prenant des civils pour cible la qualification de « crimes contre l’Humanité ». Voir « Israël et territoires occupés - Autorité palestinienne », Bulletin d’information, 116/02, 11 juillet 2002: « Amnesty International demande aux groupes armés palestiniens de cesser de tuer des civils ».

(7) Voir mon livre L’Illusion populiste, op. cit. , p. 10 sq.

(8) Voir mon livre La Nouvelle judéophobie, op. cit. , p. 192-193.

(9) José Bové, cité par Libération, 3 avril 2002, p. 4.

(10) La sélection de propos d’auditeurs réalisée par Daniel Mermet, pour une série d’émissions intitulées « Israël, la guerre maintenant » et diffusées du 18 au 22 juin 2001 (France Inter, « Là-bas si j’y suis »), comporte de nombreux exemples de ce thème d’accusation. Le transfert victimaire est au principe de ces propos d’un auditeur diffusé le 21 juin 2001: « Qu’est-ce que c’est que ce pouvoir mortifère qui se complaît dans les assassinats d’enfants et les mutilations (...)? Qu’est-ce que c’est que ces hypocrites qui manient avec tant de virtuosité le bouclier de l’antisémitisme quand on veut juste leur rappeler que depuis cinquante ans ils reproduisent à dose homéopathique l’horrible injustice dont ils ont souffert? ». Autre illustration, fournie par ce propos d’auditeur diffusé le 22 juin 2001: « Oui, les Juifs ont très bien exploité le capital de pitié qu’ils cultivent depuis 50 ans. Maintenant, ça suffit! ». Voir le Bulletin de l’Observatoire du monde juif, n° 3, juin 2002, p. 39-40 (« L’opinion publique et le transfert victimaire »).

(11) Cette accusation constitue un argument annexe du discours négationniste, où elle est apparue sous la forme d’une dénonciation litanique de la « Shoah-business ». Ce motif d’accusation a été repris par les milieux gauchistes nord-américains (dont le leader est Noam Chomsky), qui l’ont diffusé largement dans les réseaux internationaux du mouvement « anti-mondialisation », où la vision conspirationniste d’Israël, du « sionisme » et de l’hyper-puissance américaine s’est banalisée (les propos d’un José Bové ont le mérite de lever partiellement le voile sur les convictions profondes des « antisionistes » d’extrême gauche). Voir le pamphlet de Norman G. Finkelstein, L’Industrie de l’Holocauste. Réflexions sur l’exploitation de la souffrance des Juifs [2000], tr. fr. Éric Hazan, postface de Rony Brauman, Paris, La Fabrique, 2001. Les milieux négationnistes ont accueilli le brûlot avec enthousiasme; voir par exemple l’article signé « André Chelain » (pseudonyme) dans la revue négationniste d’extrême droite L’Autre Histoire, 3e année, n° 16, décembre 2000, p. 24-29 (« Le scandale des réparations »), où l’on peut également lire des textes signés Henri Roques ou Christian Bouchet.

(12) Edward Said, « Les Palestiniens, victimes des victimes », Le Monde, 27 mai 1998. Cette représentation du conflit israélo-palestinien n’est pas nouvelle: on en trouve des traces, par exemple, dans la littérature trotskiste des années 1960. Dans une interview parue le 23 juin 1967, Isaac Deutscher lançait comme une évidence: « C’est aux Arabes que l’on fait payer les crimes commis par l’Occident vis-à-vis des Juifs. » (Essais sur le problème juif, tr. fr. Élisabeth Gille-Némirovsky, Paris, Payot, p. 168). Devenue un cliché dans le discours des « antisionistes » radicaux mais non négationnistes, la formule est aujourd’hui particulièrement prisée par les « antisionistes » d’origine juive, tel Rony Brauman (voir sa postface à Norman G. Finkelstein, op. cit. , p. 155).

(13) Le 8 février 1991, lors du débat sur la discrimination raciale à la Commission des droits de l’homme à l’ONU, la représentante de la Syrie, Mme Nabila Saalan, après avoir évoqué « les crimes nazis perpétrés par les autorités sionistes d’occupation », a invité tous les membres de la Commission à lire Le Pain azyme de Sion, présenté comme un « livre précieux, qui confirme (...) le caractère raciste du sionisme » (propos cités par I. V., « Accès d’antisémitisme irakien et syrien », Le Monde, 12 février 1991, p. 42).

(14) Yasser Arafat, discours prononcé au Caire le 15 mai 2001 en l’honneur de al-Naqba, jour de commémoration de la « catastrophe », la création de l’État d’Israël (propos cités par Jeff Helmreich, « Un Arafat politiquement correct: les inexactitudes calculées de l’Associated Press », Bulletin de l’Observatoire du monde juif, n° 2, mars 2002, p. 14).