Tribune
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Publié le 28 Octobre 2011

Pierre-André Taguieff : préface au livre de Jacques Tarnero, «Le Nom de trop. Israël illégitime?»

Ce texte est publié dans la rubrique Tribunes Libres réservée aux commentaires issus de la presse. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui peuvent être différentes de celles du CRIF.




En plaçant la formation et la circulation du grand récit sur l’illégitimité d’Israël au centre de ses analyses, Jacques Tarnero va à l’essentiel. Il plonge avec vaillance au cœur des ténèbres idéologiques de notre temps.



Depuis le début des années 1970, un discours unique sur Israël s’est en effet installé dans l’espace médiatique mondialisé autour d’un dogme ainsi formulable : l’État hébreu est un État en trop.



Ce discours anti-israélien ou « antisioniste » tranche sur les autres formes de xénophobie en ce qu’il nie le droit à l’existence d’Israël. Il faut être clair sur la question : la négation du droit à l’existence d’Israël, donc la négation du droit du peuple juif à vivre comme tout peuple dans un État-nation souverain, constitue une action de guerre symbolique. Celle-ci implique d’isoler l’État d’Israël sur tous les plans, en organisant notamment contre lui un boycott généralisé. Elle va de pair avec la diabolisation de l’État juif, traité comme l’incarnation du mal, par une mise en accusation permanente de la politique israélienne fondée sur trois bases de réduction : le racisme (nazisme ou apartheid), la criminalité centrée sur le meurtre d’enfants palestiniens (ou musulmans) et le complot permanent contre les nations voisines, voire contre l’Islam. La délégitimation de l’État juif est ordonnée à la réalisation d’un objectif : éliminer l’État-intrus.



Nous avons assisté avec effarement, aux lendemains de la guerre des Six-Jours, à l’imprégnation croissante de l’opinion mondiale par un « antisionisme » forgé, avant même la création de l’État d’Israël, dans les milieux de l’islamisme radical égyptien, au point de jonction entre les Frères musulmans et le « Grand Mufti » de Jérusalem, Haj Amin al-Husseini, qui avait déclaré la guerre aux Juifs dès la fin des années 1920, avant de collaborer avec l’Allemagne nazie. La guerre contre les Juifs s’est transformée après 1948 en une guerre contre le « sionisme mondial » et Israël.



On entend de plus en plus souvent des appels à « rayer Israël de la carte ». Tarnero revient sur les principales étapes de cette démonisation d’Israël qui, délivrant une autorisation d’éliminer le « cancer sioniste », a fini par fabriquer un équivalent de la « Solution finale de la question juive ». La destruction d’Israël est devenue le nouvel objectif. La réalisation de cet objectif constitue la « solution » de la nouvelle « question juive », résultat de l’islamisation du discours antisioniste, mêlant les arguments de type nationaliste ou ethno-nationaliste aux thèmes politico-religieux du fondamentalisme musulman. Le programme « antisioniste », considéré dans ses formulations radicales, a un objectif explicite : « purifier » ou « nettoyer » la Palestine de la « présence sioniste » ou « juive », considérée comme une « invasion » qui souille une terre palestinienne ou arabe (pour les nationalistes) ou une terre d’Islam (pour les islamistes). Ce qui est le plus inquiétant, c’est que ce désir d’anéantissement d’un État-nation semble inquiéter de moins en moins les acteurs politiques et les milieux médiatiques. La haine totale d’Israël fait désormais partie du paysage idéologique mondial.



L’observateur engagé qu’est Tarnero montre avec sa fougue convaincante, en multipliant les analyses d’exemples, que l’idéologie « antisioniste » ne saurait se réduire à une critique de la politique israélienne. Elle constitue un puissant mode de délégitimation de l’État juif et prépare les esprits à accepter sa destruction par tous les moyens. L’antisionisme radical fonctionne comme un mythe mobilisateur en même temps que comme une religion séculière, promettant le salut à ceux qui adhèrent à ses dogmes. Stade suprême du politiquement et de l’éthiquement correct, il assure un confort intellectuel et moral maximal à ceux qui s’affirment « propalestiniens ». Dotés d’une bonne conscience inébranlable, ces derniers se sont installés dans le camp du Bien. Ils parlent la langue « antisioniste », avec ses slogans et ses clichés, imperméables aux arguments susceptibles d’ébranler leur conformisme idéologique. Ils savent que ce conformisme leur garantit l’accès aux médias, donc aux instruments les plus efficaces de l’endoctrinement et de la propagande.



Face aux membres majoritaires du parti du Bien, le réfractaire Tarnero nous fait partager ses interrogations, ses inquiétudes et ses refus minoritaires, il s’indigne avec force qu’on puisse aujourd’hui impunément nazifier les Israéliens et plus largement les Juifs, montrant qu’une indignation sincère et éclairée n’a rien à voir avec l’indignation de pacotille des donneurs de leçons professionnels, inévitablement « antisionistes ». Il faut lire son livre comme une méthode de désendoctrinement. Et saluer son courage, car il en faut beaucoup pour défendre Israël contre ses calomniateurs innombrables et sans scrupules.



« Le nom de trop : Israël illégitime ? » Armand Colin, en librairie le jeudi 3 novembre 2011.



Photo : D.R.



Source : Dreuz