Quelle déception ! Après Jean XXIII et Jean Paul II nous pensions être devenus les frères aînés de l’Eglise. Le cardinal Lustiger avait contribué à créer un pont entre l’Eglise et le Judaïsme. L’accusation de déicide était supprimée. La repentance était affichée de toutes parts. Le comportement de la hiérarchie catholique était exemplaire. J’ai eu l’occasion de le mesurer lorsque j’avais été invité, en tant que président du Crif, aux funérailles de Jean Paul II au Vatican. Nous étions une quinzaine de Juifs représentant les Juifs du monde entier et nous étions placés juste à côté des Chefs d’état , avant les représentants de toutes les autres religions. Et plusieurs évêques français ont même traversé toute la place Saint-Pierre de Rome pour nous saluer.
Or le nouveau pape Benoît XVI rompt sciemment ce climat. Après la tentative de réintégration d’un évêque négationniste, Williamson, voici la béatification du pape Pie XII qui assista à la Shoah sans protester et qui même après la guerre ne trouva pas un mot de commisération. Voici comment il évoquait les Juifs : : « Prions aussi pour les juifs perfides … Dieu tout puissant et éternel exaucez les prières que nous vous adressons au sujet de l’aveuglement de ce peuple, afin que reconnaissant la lumière de votre vérité, qui est le Christ, ils soient enfin tirés de leurs ténèbres ! » Cette prière était dite par Pie XII chaque vendredi saint, avant la shoah, pendant la shoah, et même après la shoah, de 1939 à 1958, après que six millions d’âmes perfides, il s’agit de nos parents, de nos martyrs, se soient envolées en fumée.
Le silence de Pie XII n’a pu qu’encourager le pouvoir nazi dans son plan diabolique. Ce silence a aussi encouragé les catholiques allemands, qu’ils aient ou non appartenu aux jeunesses hitlériennes, à participer sans remords à sa réalisation. Ce pape, cette autorité morale réputée infaillible, Pie XII pouvait tant ! Il a fait si peu !
Benoît XVI prétend qu’il ne béatifie pas l’homme politique mais le chrétien exemplaire aux vertus héroïques. En quoi a-t-il été exemplaire ? Où est le héros qu’on veut sanctifier ? Il s’est tu lorsqu’il fallait parler. Il a eu peur d’effaroucher Hitler. En quoi est-ce grandiose ? Autre question importante : Pourquoi Benoît XVI refuse-t-il d’ouvrir immédiatement les archives du Vatican ? Quelles monstruosités risquons-nous d’y découvrir ? Si vraiment le sauvetage des 5.000 Juifs de Rome lui est imputable tant mieux, pourquoi le dissimuler ? Mais ce n’était pas 5.000 âmes qu’il fallait tenter de sauver mais 6 millions. Pourquoi est-il plus urgent de canoniser Pie XII plutôt que d’ouvrir les archives ? Pourquoi Benoît XVI ne suit-il pas l’exemple de ses prédécesseurs Paul VI et Jean Paul II qui se sont bien gardés de canoniser Pie XII.
Certes Pie XII avait émis des craintes pour « ceux qui sans aucune faute de leur part, et parfois uniquement pour des raisons de nationalité ou de race, sont destinés à la mort ou à une extinction progressive. » Mais il ajoutait immédiatement en juin 1943 : « Toute parole de notre part, toute allusion publique devrait être sérieusement pesée dans l’intérêt même de ceux qui souffrent... » Donc il fallait laisser faire …
Paul Claudel lui a osé critiquer Pie XII. Il a écrit en décembre 1945 : « Rien actuellement n’empêche plus la voix du pape de se faire entendre. Il me semble que les horreurs sans nom et sans précédent commises par l’Allemagne nazie auraient mérité une protestation solennelle du vicaire du Christ. Il semble qu’une cérémonie expiatoire quelconque, se renouvelant chaque année, aurait été une satisfaction à la conscience publique… Nous avons eu beau tendre l’oreille, nous n’avons entendu que de faibles et vagues gémissements…»Voilà pour Claudel.
Certes il est difficile au Cardinal Vingt Trois, archevêque de Paris et Président de la conférence des évêques de France, de critiquer le chef de la chrétienté. Mais Mgr Vingt Trois a tenté de défendre Benoît XVI et son allié dans l’Histoire du monde Pie XII avec les arguments suivants : Il n’avait pas à commenter les décisions prises à Rome et surtout on juge Pie XII aujourd’hui avec les critères d’aujourd’hui et non ceux de l’époque. Nous ferions même une fixation névrotique !
Le Cardinal Vingt Trois a décidé de se soumettre au respect de sa hiérarchie. L’honneur eut été de s’opposer.
Roger Cukierman (Judaiques-FM 11 janvier 2010)