Tribune
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Publié le 15 Juillet 2009

Questions sur le procès des assassins d'Ilan Halimi

Le texte suivant a été écrit par Richard Prasquier le dimanche 12 juillet 2009, c'est-à-dire avant la décision d'appel au procès des assassins d'Ilan Halimi. Il nous parait important de le présenter ici, car il pose les questions qui ont parcouru une partie importante de la population française à l'issue de ce procès.




« Le procès des assassins d'Ilan Halimi laisse une impression d'inachevé. Certains se satisfont de ce que il se soit allé sans trop d'encombres jusqu'à son terme, que le verdict soit personnalisé et que l'accusé principal soit condamné de la peine maximale de notre droit. Cela ne saurait suffire.
Le procès a-t-il aidé la famille d'Ilan à donner un sens à l'horreur qui l'a frappée? Sous quel éclairage de l'affaire le jury a-t-il statué? Quel message a-t-il été envoyé au public?
La famille a vécu depuis trois ans une succession d'épreuves, mineures au regard de l'atroce assassinat mais insupportables. Silence, solitude et déception. Silence imposé par les enquêteurs pour ne pas gêner la recherche des ravisseurs. Déception devant l'échec de l'enquête et le silence sur ses causes. Solitude lorsque la grande manifestation de février 2006 a rassemblé surtout des Juifs, alors qu'on attendait un rejet de l'ensemble du peuple de France. Silence initial du parquet sur un contexte antisémite pourtant évident. Silence des trois années de la procédure. Silence imposé par le huis clos, alors que la famille souhaitait que chacun pût entendre pour comprendre. Solitude face à l'entourage des 27 inculpés et aux provocations de Fofana. Déception aussi- pourquoi le nier?- devant la minoration presque systématique des peines par rapport à un réquisitoire déjà perçu comme clément. L'énoncé du verdict un soir de Shabbat, donc en leur absence, symbolise malheureusement la perception d'une série de rendez-vous déçus de la famille d'Ilan avec la justice de notre pays.
On ne peut évidemment pas connaître l'axe d'analyse que le jury a privilégié, mais on peut penser que le réquisitoire de l'avocat général a joué un rôle dans cette évaluation: par définition, il était censé porter la parole de la société et non pas celle d'intérêts particuliers. Or M.Bilger aurait eu des paroles ambiguës sur l'antisémitisme, suggérant indirectement que certaines formes en étaient odieuses et que d'autres ne l'étaient pas. Ce discours, s'il était confirmé, disqualifierait, lapsus freudien ou pas, l'avocat général quelle qu'ait été sa plaidoirie par ailleurs. L'époque est déjà ancienne où Bernanos prenait acte de ce que l'antisémitisme, qu'il avait professé auparavant, était "déshonoré" par les nazis.
Il est tentant d'escamoter le facteur antisémite dans l'assassinat d'Ilan Halimi qui devient un simple "plan thune". Les protagonistes ont assuré qu'ils n'étaient pas antisémites et certains ignorent probablement la signification de ce mot. Mais ils ont intériorisé, et cela revient au même, des stéréotypes contre les Juifs dont l'indigence n'a d'égale que la férocité: le Juif comme réservoir potentiel d'argent démuni d'une humanité propre. L'antisémitisme est le solvant collectif qui rend tous les crimes possibles. Pour Fofana, le procès a montré l'intensité de sa haine contre les Juifs. Sa phraséologie reprend d'ailleurs celle de la charte du Hamas, ce texte que beaucoup s'obstinent à ne pas lire. Est-ce que cette dimension idéologique antisémite a été prise en considération avec toutes ses conséquences? Ou a-t-on effectué une analyse psycho-sociologique de trajectoires de vie cahotées avec la tentation à l'indulgence ? Tout dépend du poids relatif de ces deux approches au demeurant indispensables.
Reste le message qui a été envoyé au public. Et là le huis clos ne pouvait conduire qu'à la déception. Qu'était ce procès? Celui du"gang des barbares" terme qui risque de devenir une marque de prestige auprès des admirateurs moins rares qu'on ne le croit?... Le "procès Fofana"? Ce qui escamote le fait qu'il s'agit non du procès d'un homme, mais celui d'un groupe avec toutes ses caractéristiques: obéissance au chef, lâcheté personnelle sous couvert de solidarité, perte des repères moraux, appât du gain, etc...Que ce groupe est fait d'individus responsables. Que ce groupe a été capable d'un crime atroce. Que d'autres groupes de cette sorte existent dans notre pays. Que nos enfants pourraient en faire partie. Que même si un procès est avant tout procès d'individus, on ne peut en négliger sa valeur d'exemplarité. Qu'on a le devoir de réfléchir sur sa portée pédagogique, car ce procès est celui de notre société. Ne pas négliger que la vraie justice ne peut se faire derrière des portes fermées. Et ne pas négliger non plus que tant d'années après la Shoah, après tant d'actions de mise en garde, un Juif a de nouveau été assassiné dans des conditions abominables simplement parce qu'il était Juif. »



Richard Prasquier, Président du CRIF



Photo : D.R.