Tribune
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Publié le 8 Juin 2007

Qui a peur de l’intégration ?

L’auteur de ces lignes est un Français « issu de l’immigration ». Mes parents sont venus de Pologne en des temps difficiles, porteurs d’une longue histoire et ignorant jusqu’à la langue de leur pays d’accueil. Ils ont dû apprendre celle-ci sans oublier celle-là. Il leur a fallu, aussi, prendre en charge la transmission. Comment s’insérer sans se renier, comment faire en sorte que les enfants accèdent à la culture française mais ne rejettent pas la culture ancestrale : ces questions se posèrent à toute une génération. Chacun y répondit à sa manière, tant bien que mal, dans l’improvisation et parfois dans la douleur.


Par la suite, les enfants nés en France eurent à assumer eux-mêmes ces choix. Un mot représenta, aux yeux de beaucoup, une sortie honorable du dilemme dont nous avions hérité : le mot « intégration ». À la différence de l’« assimilation », qui dans notre vocabulaire signifiait une totale et irrémédiable perte de substance, l’« intégration » associait la pleine acceptation de la dimension française et le souci de maintenir un patrimoine séculaire. Oui, disions-nous, il est possible d’aimer pleinement la civilisation française sans renoncer à la civilisation hébraïque.
Pour être juifs nous n’étions pas moins français – ni français autrement que les autres. Nous revendiquions un « droit à la différence » qui se définissait comme un ajout, et non pas comme une altération. Si notre singularité juive était respectée par nos concitoyens, nous en étions heureux ; mais nous ne songions pas un instant à faire de pareille reconnaissance une revendication catégorielle, encore moins une condition de notre appartenance à la collectivité nationale. Nous n’exigions pas qu’au Panthéon des auteurs français on réservât une place à Rachi de Troyes. Et nous ne nous étonnions même pas, dans notre grande naïveté, que nos livres d’histoire fussent si discrets sur des événements récents dont nos familles portaient encore les stigmates.
Tout cela, c’était notre manière de vivre l’intégration à la France. Un processus quelque peu cahotique, où l’on apprend à concilier une mémoire spécifique et une responsabilité commune. Des choses qui ne se décrètent pas mais que l’on éprouve au jour le jour. Un effort, de la part de l’intégrant comme de la part de l’intégré.
Ces souvenirs méritent d’être rappelés à un moment où de bons esprits veulent bannir le terme d’« intégration », au motif qu’il serait inconvenant de prétendre « intégrer » des gens qui sont français de naissance. Certes, les circonstances ne sont pas les mêmes, les immigrations ne sont pas identiques et nulle expérience n’est directement transposable. Mais pourquoi veut-on nous faire oublier que, naguère encore, l’intégration était un beau projet républicain ?
Meïr Waintrater
(l’Arche juin 2007)