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Ce week-end, l’émission « La vie d’ici » sur France 3 était consacrée au racisme. Plusieurs personnes interviennent pour souligner leurs difficultés ou pour dire que nous avons tous des tendances racistes. Une jeune fille se lève et parle d’un de ses amis juifs qui a aujourd’hui peur. Avant d’avoir pu exposer les raisons de cette peur, elle est interrompue par l’animateur qui se tourne vers un autre intervenant, considéré apparemment comme référence, lui demandant : « Qu’en est-il de ce nouvel antisémitisme ? ». Ce « référent » explique qu’il y a aujourd’hui un petit nombre de juifs extrémistes (« oh , ils ne sont pas représentatifs de la majorité des Juifs de France qui sont dans l’ensemble bien intégrés depuis longtemps ») qui suscitent l’antisémitisme. Fin de l’épisode, on peut tranquillement continuer à parler entre soi.
C’est bien l’air du temps. Dans une société qui tète l’antiracisme avec le lait maternel, il y a bien aujourd’hui un racisme qui se distingue des autres en cela que le politiquement correct admet la responsabilité des victimes, un racisme pour lequel il est permis de s’indigner – ou de se moquer - davantage contre ceux qui s’en offusquent que contre son expression : c’est l’antisémitisme.
On en prendra pour témoin quelques séquences écrites ou filmées de cette fin de semaine.
C’est d’abord un épisode des « Guignols » de Canal+ qui montrent entre autres Dieudonné face à un PPDA qui lui coupe la parole à chaque tentative qu’il fait pour ouvrir la bouche en criant à l’antisémitisme. Point de vue finalement peu différent du dessin de Viaz publié en page 63 du Nouvel Observateur : « C’est l’histoire d’un mec…heu. Pas juif, pas musulman, pas trisomique, pas homosexuel, même pas belge ! Ca va là ? ».
Sur la même chaîne, on aura pu voir aussi samedi, dans un épisode de « Groland », le même Dieudonné en victime d’une fatwa, comparé à Salman Rushdie, le sketch se terminant par des cris voulant imiter un colon israélien devant « le mur » dignes d’une parodie de Hitler, est commenté ainsi par Michael Keum : « je savais pas que c’était aussi violent, c’est un peu comme si moi journaliste je commençais à dire la vérité », puis pas Moustique : « Il serait peut-être temps que ce monsieur comprenne qu’un noir ça n’ouvre pas sa gueule, ça souffle dans une trompette ».
Dans la même veine, mais sur un autre thème, l’article de Libération de samedi intitulé « Nice territoire interdit pour la palestinienne Leila Shahid » et sous-titré « Des pressions exercées pour empêcher la tenue de débats dans une banlieue ». La cause de tant d’indignation ? L’annulation, par l’autorité académique d’une rencontre entre des élèves de 3e et la représentante de l’autorité palestinienne accompagnée de son séide Michel Warshawski dans le cadre d’un collège de la région niçoise. Représailles des parents d’élèves FCPE : l’annulation d’un voyage à Auschwitz qui, selon leur dires – et contre toute vérité -, aurait été organisé par le CRIF. Pas la moindre consternation de la part de l’auteur de l’article concernant l’endoctrinement intolérable - et contraire à la loi et à la déontologie - d’enfants de 14 ou 15 ans, pas le moindre effarement de la relation faite entre ce meeting et un voyage à Auschwitz. Non simplement la reprise à son compte de l’indignation des organisateurs « privés de la liberté de parole ». Ce qui va à l’encontre du calme dans cette banlieue, ce n’est pas la tentative d’endoctrinement des enfants, c’est l’action supposée du « lobby juif ».
Au même dossier, il faut verser l’article du Monde consacré à la plainte d’Eyal Sivan contre Alain Finkielkraut, coupable d’avoir affirmé que son film « Route 181 » était une incitation au meurtre. Outre que l’on peut s’étonner que le journal ait cru devoir consacrer plus qu’une simple brève à cet « événement », il n’y a pas dans l’article trace d’une invocation de la liberté d’expression.
A ceux qui tels le Capjpo lancent sur leur site des pétitions, ou défendent dans tous les médias les auteurs de propos inqualifiables au nom de la liberté de parole nous ne pouvons que suggérer de relire cet article - paru en janvier 1994 sous la plume de l’historien Philippe Videlier - dans le mensuel qui est aujourd’hui le temple de l’altermondialisme et de la « liberté de critiquer Israël », le Monde Diplomatique. Il s’agissait alors de fustiger la tolérance au négationnisme, mais le propos pourrait s’appliquer à nos « indignés » d’aujourd’hui :
« Umberto Eco a donné au Monde, il y a quelques mois, un important entretien mettant en lumière les errances du présent : « Ceux qui propagent ce genre de discours intolérables, et ceux qui les soutiennent, j’ai le droit de ne pas les inviter chez moi, et celui de ne pas aller chez eux s’ils m’invitent. - Et si l’on vous dit que votre attitude est intolérante ? - Je réponds que pour être tolérant, il faut fixer des limites à l’intolérable. » […] Que le romancier Didier Daeninckx montre la collusion infâme entre l’extrême droite et des éléments communistes à la dérive, il est immédiatement traité de flic dans l’Idiot international. […]
« Une « chasse aux sorcières » ? A lire cette presse, il s’agirait de ceci : pour des vétilles, des erreurs de jeunesse, un mot de trop, quelques lignes impertinentes ou une vieille fréquentation amicale, des intellectuels archaïques, formés évidemment à l’école marxiste, poursuivraient de leur vindicte des gens parfaitement respectables qui ne cessent d’ailleurs de protester de leur parfaite blancheur, se posant en victimes d’une intolérance intolérable. « La chasse aux sorcières ? Nous y sommes. La terreur, la loi des suspects, la cabale des dévots ? Nous y sommes », écrit Alain de Benoist, sous son pseudonyme de Robert de Herte, dans l’éditorial d’Eléments […].
« Celui de Bagatelles pour un massacre [Céline], empli d’une haine de dément, que l’on donnait à lire alors que partaient les trains de la mort : « Moi, c’est contre le racisme juif que je me révolte, que je suis méchant, que je bouille, ça jusqu’au tréfonds de mon bénouze !... Je vocifère ! Je tonitrue ! Ils hurlent bien eux aux racistes ! Ils arrêtent jamais ! aux abominables pogroms ! aux persécutions séculaires ! C’est leur alibi gigantesque ! C’est la grande tarte à leur crème ! On me retirera pas du tronc qu’ils ont dû drôlement les chercher les persécutions ! foutre bite ! Si j’en crois mes propres carreaux ! S’ils avaient fait moins les zouaves sur toute l’étendue de la planète, s’ils avaient fait moins chier l’homme ils auraient peut-être pas dérouillé ! » […]
« La stratégie n’est pas neuve : elle a seulement pris de l’ampleur. « Intolérable intolérance » : tel était l’un des premiers titres des défenseurs de la grande négation, celle du génocide. Ils prenaient les accents de l’indignation pour en appeler à la liberté d’expression, comme le renard indigné de ne pas être laissé libre dans le poulailler. […] Mais les méthodes sont restées les mêmes. Le Mémoire en défense [de Faurisson] comportait une charge contre la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) ainsi formulée : « Nouveau Saint-Office, la LICRA fait la police de la pensée. » […] Pour briser chaque résistance rencontrée, pour entrer en respectabilité, ils usent des mêmes mots depuis une décennie, dans un époustouflant travestissement : « inquisition », « police de la pensée », « maccarthysme », et se réjouissent avec de gros clins d’œil du bon tour qu’ils jouent à la démocratie. Il est vrai que la tactique donne des résultats. […]
« Michaël Marrus et Robert Paxton ont montré, dans Vichy et les juifs, comment les « limites extrêmes du discours admissible » s’étaient peu à peu élargies dans les années précédant la grande catastrophe, pour autoriser le pire, à la fin. La conversion est lente, mais elle s’opère dans un monde fragilisé, et nous assistons à sa mise en scène. Car tout cela circule par les moyens les plus divers : insidieusement dans les salons, sans fard dans les égouts, mais toujours avec obstination. […] Nous ne pouvons que constater que, ces dernières années, le mal n’a cessé de progresser, s’ouvrant à d’autres domaines, et que la résistance s’est dangereusement amenuisée. […]
« On restera dans le ton en évoquant, alors, le Masque de la mort rouge, d’Edgar Poe, que l’on peut tenir pour métaphore de l’inconscience humaine. Une épidémie ravageait les contrées alentours, mais les nantis n’en voulaient rien savoir. Ils se barricadèrent dans quelques certitudes illusoires et rassurantes, se repliant sur des futilités pour oublier le malheur aux portes. Tout à leur effarant carnaval mondain, ils ne remarquèrent pas un nouveau venu. Mais lorsque le masque tomba, il ne restait plus que la mort. »
Anne Lifshitz-Krams