Hier encore, on militait dans des groupes internationalistes, ou dans des organisations visant à promouvoir le nationalisme hébreu. L’engagement pour la défense d’Israël ne s’est pas tari, mais il laisse, à ces côtés, la place pour d’autres formes de militance pour les juifs de diasporas dans les Etats du monde.
La communauté juive a connu en diaspora l’expérience d’être privée des droits les plus fondamentaux, notamment en France sous le régime de Vichy. Une fois leurs droits retrouvés, les Juifs européens ont « apprécié » l’anonymat imposé par la stricte séparation de la sphère privée (orientations sexuelles, religieuses, philosophiques) de la sphère publique (mêmes droits pour tous les citoyens).
L’organisation anglaise René Cassin propose, elle, une révolution : porter l’expérience du peuple juif sur le devant de la scène pour défendre les droits de l’homme universels.
« Using the experience of Jewish people to promote the human rights of all people», tel est le mot d’ordre de cette organisation juive. « René Cassin » interpelle ainsi en Angleterre les pouvoirs publics en cas de violation des droits de l’homme. Elle intervient auprès du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et d’autres institutions pour faire entendre une voix juive universaliste auprès de la communauté internationale. Enfin, l’organisation encourage les instances représentatives de la communauté juive à soutenir des actions de sensibilisation publique aux droits de l’homme. Par exemple, une campagne
C’est ainsi l’organisation dépositaire de l’héritage moral de René Cassin, ce juriste juif et français qui rejoint le général de Gaulle à Londres et fut l’auteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, René Cassin n’avait pas assez d’avoir soutenu les juifs. Il créa le « Consultative Council of Jewish Organizations » (CCJO) dans le but de fournir un soutien juif à la défense et la promotion des droits de l’homme, de tous les hommes, but que s’était donnée l’Organisation des Nations Unies, alors naissante.
Au début des années 2000, le CCJO régénère son organisation en amenant un groupe de jeunes juristes anglais aux Nations Unies à Genève. Depuis, Alexander Goldberg et Daniel Kinglsey, qui étaient présents lors de ce premier voyage, ont développé, en Angleterre, une organisation militante au sein de la communauté juive anglaise. Avec sa directrice Sarah Kaiser et son comité composé d’universitaires parmi lesquels on compte le chercheur Noam Lubell, les conférences de sensibilisation et les actions militantes mobilisent dans un pays où l’engagement communautaire est une forme légitime de manifestation politique : pétition, lettres au « Board of Deputies of British Jews » reléguée au gouvernement, et déclarations aux Nations Unies sont quelques unes des actions d’une organisation qui compte près d’un millier de soutiens. La formation des militants aux droits de l’homme et à l’humanitaire est assurée par des universitaires, qui alimentent ainsi en connaissance juridique les militants, leur permettant de s’investir intelligemment pour la défense des droits de l’homme, « du local au global. »
« Avant « René Cassin », j’avais une éducation juive et une sensibilité un peu « droit-de-l’hommiste », raconte Rachel, une militante. « Une énergie pour défendre les immigrés au niveau local… Je voulais participer à un mouvement qui revendique auprès de tous les Etats la reconnaissance définitive des droits fondamentaux des individus… ». Et pourquoi ne s’est-elle pas engagée dans une organisation laïque ? «C’est d’abord la Bible qui m’a enseignée que les hommes étaient égaux en dignité. La source de ma croyance en l’universel est d’abord religieuse. Mon engagement à « René Cassin » était donc une prolongation de ma foi juive. » C’est ainsi que Rachel développe une pédagogie des droits de l’homme au sein des écoles juives. Jacob, qui lui dispose de moins de temps, a pour sa part organisé un shabbat commémorant les 60 ans de la déclaration des droits de l’homme dans sa synagogue…
« René Cassin », c’est aujourd’hui une organisation européenne qui concentre son travail sur quatre domaines: génocides et crimes contre l’humanité ; immigration et politique d’asile ; réfugiés ; et enfin droits économiques, sociaux et culturels.
La respectabilité de cette organisation se mesure autant par le nombre de militants, que la légitimité de ses partenaires dans ces deux domaines que sont les droits de l’homme et la politique juive: en Angleterre, « René Cassin » travaille autant avec Amnesty International et Human Rights Watch, qu’avec le Board of Deputies of British Jews, l’équivalent du CRIF…
N’était-ce pas, aussi, l’aspiration de René Cassin ?