Tribune
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Publié le 6 Mai 2004

Revue de la presse sur la profanation du cimetière juif d’Herrlisheim

Un lieu paisible et beau profané



Le lieu est paisible et beau. A l'écart du village, entre le petit cours d'eau de la Lauch et une parcelle de vignes, le très ancien cimetière juif d'Herrlisheim dresse ses stèles à flanc de coteau, sur un tapis d'herbes folles. Il est aujourd'hui défiguré par des croix gammées et celtiques tracées en rouge sur 127 pierres tombales, « toutes dans la partie la plus ancienne, là où le grès poreux rendra l'effacement difficile », raconte l’envoyé spéciale du quotidien belge, La libre Belgique (3 mai 2004). L’Humanité (3 mai) rappelle cependant que c’est la quatrième fois en quarante ans que ce cimetière israélite est ainsi profané, la dernière agression remontant à 1992.


« «Juden raus» (« Juifs dehors ») : l'inscription, ignoble, à la bombe de peinture rouge, assortie d'une croix gammée, a meurtri profondément la communauté juive d'Alsace. Mais, bien au-delà, c'est l'ensemble du pays qui s'est senti sali, ce week-end, après la profanation du cimetière israélite d'Herrlisheim, près de Colmar (Haut-Rhin) », souligne Le Figaro (3 mai).


L’émotion étreint le petit village d'Herrlisheim

Au lendemain de la visite éclair du ministre de l’Intérieur, Dominique de Villepin, venu le vendredi 30 avril, dénoncer « des actes de barbarie et d'infamie », des dizaines de curieux défilent devant les grilles fermées du cimetière.


Dans le village, raconte La Libre Belgique (3 mai), c'est la consternation. « Le cimetière est un but de promenade » confie un des rares habitants qu'on croise en ce dimanche après-midi, « personne ne voudrait s'y attaquer... Et puis personne n'en veut aux Juifs, ils ne sont plus que deux familles ici et ils sont très discrets ». Les profanateurs viennent sans doute d'ailleurs, pense-t-il, peut-être d'Allemagne.


Un couple qui passe par là n'imagine pas que la profanation soit le fait de jeunes d'Herrlisheim. « Ils sont élevés en famille. Et puis ici tout se sait », précise la jeune femme qui est la factrice du village. « Il y a toujours une mammy derrière sa fenêtre pour repérer ce qui est repérable...» Du côté des jeunes, on parle aussi de l'affaire, poursuit La Libre Belgique. « Ce n'est pas glorifiant », disent-ils, « Déjà que l'Alsace est connue pour voter extrême-droite, voilà qu'on en rajoute une couche en étant la région où se commettent le plus d'actes antisémites ». A la question de savoir s'ils pensent que les deux phénomènes sont liés, que l'un pourrait expliquer l'autre, ils hésitent. « On connaît des jeunes qui votent FN mais on ne les imagine pas la nuit, dans les cimetières, en train de profaner des tombes. Ce n'est pas pareil...» Pourtant, tout cela se passe chez eux et cela les met mal à l'aise. « Cela semblait irréel de voir les infos », confie une adolescente. « J'avais du mal à réaliser que cela s'était déroulé à 150 mètres de chez moi. J'avais l'impression de voir un documentaire sur la naissance du nazisme...»


Monique a « la chair de poule » à l'idée qu'un « cinglé comme Hitler puisse revenir, car il y a assez de fous qui seraient capables de l'imiter ». Quant à Marc, professeur de philosophie, il dénonce la « banalisation d'une forme de haine qui devrait être proscrite dans notre société », rapporte de son côté Libération (3 mai). « C’est pire qu'un choc, ça me remue au plus profond de moi-même, surtout que c'est la quatrième fois en 40 ans que notre petit cimetière est victime de tels actes », soupire Jean-Pierre Roth, le président de l'association en charge de la gestion des sépultures (AFP-30 avril).


Plus loin, raconte La Croix (03 mai) Jean-François Willem fait défiler sur son ordinateur les photos du cimetière israélite, tel qu'il l'a vu vendredi matin, avec les gendarmes. Exprimant sa «révolte» et son «dégoût nauséeux», le maire de Herrlisheim partage la «douleur profonde ressentie par la communauté juive » devant les photos d'un cimetière profané, souillé de dizaines d'inscriptions antisémites, néonazies et néo païennes.


L’indignation du monde politique

L`annonce de la profanation de 127 tombes du cimetière israélite d`Herrlisheim a également provoqué l`indignation du monde politique.


Au sommet de l'Etat, le président Jacques Chirac condamne (30 avril) « solennellement » ces « actes abominables et intolérables » : « J’apprends avec horreur les actes très graves de profanation commis ce matin au Cimetière juif d'Herrlisheim, dans le Haut-Rhin. Au nom de tous les Français, je veux exprimer mon émotion devant ces actes abominables et intolérables que je condamne solennellement. Je veux aussi dire à toutes les familles concernées, à l'ensemble de la communauté juive de France, à tous ses responsables, la solidarité de la nation toute entière. Je tiens à les assurer de la détermination absolue des pouvoirs publics à rechercher, poursuivre et faire condamner sévèrement les auteurs de cette ignominie. L'antisémitisme est contraire à toutes nos valeurs, à tous nos principes, à tous les idéaux de la République, poursuit le Président. J'entends, avec le Gouvernement, que des actes aussi indignes de la France soient combattus avec la plus extrême fermeté. »


Le même jour, le Premier ministre condamne (30 avril) la profanation du cimetière juif : un acte « odieux » et « scandaleux » qui appelle une « réaction d'indignation collective ». Le Premier ministre déclare notamment qu’en « s'attaquant à la composante juive de la communauté nationale, en profanant des tombes, les lâches acteurs de ces actes doivent nous appeler à une réaction de profonde solidarité et de défense de la cohésion de notre nation autour de nos principes républicains».


Le Parti socialiste dénonce notamment un «acte inqualifiable», et l'UMP un « acte barbare ».

Cette profanation est « un acte inqualifiable et qui suscite indignation et rejet », déclare dans un communiqué le Premier secrétaire du Parti socialiste, François Hollande. « Au nom du PS, je demande au gouvernement qu'une enquête soit diligentée pour découvrir les coupables de cette agression sans précédent qui touche toute la communauté nationale, afin qu'ils soient le plus rapidement possible arrêtés et traduits devant la justice » Le président de l'UMP Alain Juppé exprime pour sa part « sa plus vive émotion et son indignation face aux actes barbares perpétrés au cimetière juif ». Au nom de tout le parti, il assure « de sa plus grande solidarité les familles dont les tombes ont été outragées, ainsi que l'ensemble de la communauté juive » (AFP et AP – 30 avril). Pour les Verts, la députée de Paris Martine Billard plaide pour que s'élèvent « dans tout le pays des voix de solidarité envers toutes celles et tous ceux que ces actes odieux blessent intimement », mais aussi « des voix pour combattre inlassablement toute forme d'intolérance religieuse ou raciale ». La secrétaire nationale du Parti communiste Marie-George Buffet souligne par ailleurs que « ces actes antisémites, racistes, néo-nazis appellent plus que jamais à renforcer l'action de tous les démocrates contre les idéologies d'extrême droite, les idéologies de haine ». « C'est tous ensemble' qu'il faut réagir et se battre au quotidien contre ces dérives », conclut-elle (Associated Press, 30 avril).

Il faut également noter que la profanation est condamnée vendredi 30 avril « avec force » par les musulmans d'Alsace, eux-mêmes victimes de plusieurs incidents et inscriptions racistes dans la région de Strasbourg ces dernières semaines.


« Nous condamnons avec force ces actes inqualifiables qui présentent de fortes similitudes, tant au niveau des slogans que des symboles, avec les récents agissements criminels dont ont été victimes les communautés musulmanes de Strasbourg et sa région », affirme le président du Conseil régional du culte musulman, Abdelhaq Nabaoui, dans un communiqué. Tout en exprimant « sa profonde solidarité avec la communauté juive », M. Nabaoui souhaite que les auteurs de ces actes soient « rapidement identifiés et condamnés avec la plus grande fermeté » (AFP – 30 avril).


Profanations de tombes Chrétiennes

Et comme dans un triste et quasi immédiat effet de boomerang, d’autres tombes -cette fois chrétiennes- sont profanées. Une dizaine de tombes sont dégradées dans la nuit de samedi à dimanche à Mâcon. Les faits sont constatés dimanche matin (2 mai) au cimetière multiconfessionnel de Saint-Brice, après l'alerte donnée par une personne venue se recueillir L’express (2 mai), le Journal de Soâne et Loire (3 mai), Le bien public (3 mai). Des croix sont inversées et quelques plaques brisées dans une allée sur une dizaine de mètres et plusieurs gargouilles décorant notamment un caveau mitoyen, sont cassées. Une enquête est en cours mais la thèse d'un rite satanique est privilégiée.


Ailleurs, des inscriptions néonazies sont découvertes le 02 mai en Alsace, sur 22 tombes d'un cimetière catholique et protestant de la petite commune de Niederhaslach, près de Molsheim explique le quotidien québécois Le Devoir (03 mai). Les croix gammées à l'envers ont été tracées à l'aide d'une bombe à encre rouge sur les pierres tombales et sur l'une d'entre elles était inscrit le prénom Adolf, a précisé le substitut du procureur de la République de Saverne. À l'extérieur du cimetière, des insultes ont été inscrites sur une poubelle, sur la salle des fêtes, sur une route à l'entrée du village, ainsi que sur un transformateur électrique situé en face du cimetière sur lequel était également tagué « Vive FN ». Selon le parquet, les premières constatations de l'enquête ne permettent pas un rapprochement avec la profanation de 127 tombes du cimetière juif de Herrlisheim découverte vendredi. Enfin, deux jeunes majeurs sont placés lundi 3 mai en garde à vue à la suite de la dégradation de seize tombes du cimetière chrétien de Foucart (Seine-Maritime) dans la nuit de samedi à dimanche. Selon le procureur de la République du Havre, ces deux jeunes ont reconnu les faits et devraient être présentés au parquet dans les prochaines heures. Ils sont soupçonnés d'avoir renversé des croix et cassé des stèles du cimetière après une fête dans ce village de 300 habitants. Aucune inscription n'a été découverte et aucune tombe ouverte, selon les premiers éléments de l'enquête confiée à la compagnie de gendarmerie du Havre.


Rassurer les différentes communautés religieuses

Jean-Pierre Raffarin s'est efforcé lundi (3 mai) de rassurer les différentes communautés religieuses après les profanations de cimetières de toutes confessions dans l'Est de la France, à l'occasion d'un comité interministériel destiné à faire le point sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme.

Une cérémonie oecuménique se tiendra jeudi à Colmar (Haut-Rhin) après la profanation du cimetière juif d'Herrlisheim, annonce le Premier ministre. Le Premier ministre demande au ministre de l'Education nationale François Fillon de participer à cette cérémonie pour « exprimer l'importance qu'accorde le ministère de l'Education nationale à lutter contre l'antisémitisme et le racisme ». La secrétaire d'Etat aux droits des victimes, Nicole Guedj sera également présente, ainsi que le Grand Rabbin Sitruk, le président du Conseil français du culte musulman Dalil Boubakeur et l'archevêque de Strasbourg, Mgr Joseph Doré, précise M. Raffarin. Le cardinal Lustiger représentera jeudi l'Eglise de France à la cérémonie oecuménique de Colmar regroupant musulmans, chrétiens et juifs, annoncé par ailleurs l'archevéché de Paris ce lundi (La Croix – 4 mai).


Le CRIF sera représenté par Meyer Habib, membre de l’Exécutif et Pierre Lévy, délégué régional.


Conclusion provisoire

Dans un article que le politologue Dominique Moïsi publie dans Ouest France (3 mai), l’auteur pense que l’État a le devoir impérieux de mettre un terme à cette situation délétère et détestable. Il « doit être ferme et ses représentants courageux » explique-t-il. « Ils le seront d'autant plus qu'ils se sentiront soutenus dans leur volonté d'appliquer la loi. On ne peut accepter le renoncement à l'enseignement de la Shoah dans certaines écoles par peur des réactions négatives ou de déni de quelques-uns, et s'indigner des violences contre les Juifs morts et vivants, même si ceux qui refusent d'entendre à l'école n'ont rien à voir avec ceux qui profanent les cimetières. Il ne saurait y avoir de demi-mesures dans le combat contre l'intolérance. Sur le territoire de la République, on ne peut inculquer la haine de l'autre ou faire pudiquement l'impasse sur les zones les plus sombres de l'histoire. Le présent n'efface pas plus le passé, que le passé ne saurait masquer le présent. »

Marc Knobel