Je rappelle, au préalable, que dans la première partie (entretiens avec Bruno Gaccio), l’interviewé dit ne plus savoir si Dieudonné aujourd’hui est antisémite (p.41). Il prétend également « que ce qui est arrivé à Dieudonné tient autant à sa personnalité qu’à celle de ses adversaires. » De fait, selon Gaccio, « le seul moyen dont dispose Dieudonné pour continuer d’exister est de faire de la provoc » (p .41).
Gaccio exprime également son aversion à l’antisémitisme (pp.38 et 39). Il parle aussi de « l’obsession anti-israélienne de Dieudo », obsession qu’il dit ne pas partager. Cependant, Gaccio est très critique lorsqu’il parle d’Israël. Il est aussi très ambigu. Je note par exemple cette phrase, parmi d’autres (p.46) : « Après six millions d’hommes, de femmes et d’enfants tués -sans un guerrier parmi eux-, comment ne pas culpabiliser ? Qui aurait pu refuser cette Terre promise ? Mais qui peut contester aujourd’hui que les conditions et l’endroit où fut créé cet Etat, ça fout le bordel dans toute la région depuis 60 ans ? ». Cependant, il précisera être allé… cet été en Israël en vacances avec ses enfants. Il raconte qu’à cette occasion des Juifs français sont venus le voir, lui disant qu’ils étaient contents qu’il soit en Israël, « on croyait que vous n’aimiez pas les Juifs, vous qui avez soutenu Dieudonné », cite-t-il, en ajoutant aussitôt : « Un putain de raccourci ! J’ai passé des heures à leur expliquer ce qui est, pour moi, une évidence » (p.43). Bref, Gaccio fait du Gaccio et Gaccio est un personnage complexe.
Venons-en maintenant à la seconde partie de cet ouvrage, probablement, la plus intéressante. Les questions qui sont posées à Dieudonné sont percutantes et Dieudonné essaye d’expliquer son parcours ubuesque. Il y a là quelque chose de tragique, ou de tragi-comique et je pourrais -si je le voulais- probablement démonter ligne par ligne les réponses de Dieudo. Mais, ce qui m’a le plus intéressé, c’est le rapport que Dieudonné entretient avec Faurisson.
Le journaliste lui dit qu’il y est allé fort en faisant monter sur la scène du Zénith, le vendredi 26 décembre 2008, le chef de file du négationnisme, Robert Faurisson, pour lui remettre « le prix de l’infréquentabilité et de l’insolence. » Dieudonné l’a fait ovationner « comme un martyr de la liberté d’expression, par une salle, où figuraient au premier plan Jean-Marie Le Pen et Kémi Seba, ajoute le journaliste. Que répond Dieudonné ? Qu’il connaît « le régime alimentaire de certains médias », qu’il faut « leur fournir de la viande crue, sanguinolente », qu’il leur en donne parfois et qu’il s’amuse à « observer leurs réactions » (p.84). Dieudonné estime qu’il s’agirait d’une « provocation », « totale et radicale ! » Seulement, il ajoute aussitôt que cet homme de 80 ans « s’est toujours battu avec beaucoup de sérieux, pour sa cause. » On appréciera l’adjectif qu’utilise Dieudonné pour qualifier les Faurisconneries : «sérieux ». Ensuite, Dieudonné explique que Faurisson a « accepté de se prêter au jeu, de monter une scène humoristique ». Il dit cependant qu’il ne réinvitera plus Faurisson pour un second « spectacle ». « Pour qu’il y ait performance, il faut qu’elle soit unique. Robert Faurisson ne remontera jamais sur scène avec moi. Il l’a fait et cet épisode restera gravé dans l’histoire du spectacle, dans l’histoire de l’humour, chapitre vide-ordures », poursuit-il (p.85).
Le journaliste a retenu ce mot : « vide-ordures ». Il demande alors à Dieudonné « si cela l’amuse de permettre à des « ordures » pour (le) prendre au mot de vider son sac sur son plateau » ? Dieudonné répond qu’il ne sait pas. « Peut-être que ça sent le souffre et pour certains le vomi », ajoute-t-il. « Mais, je pense avoir lancé un débat qui dépasse le cadre du spectacle, et pour moi, c’est cela une œuvre artistique » (p.86). Il avouera plus loin qu’il a « déconné » (p.87), mais le pitre s’aime et comme le pitre s’aime, il conclura en ces termes : « Positif ou négatif, je provoque des débats. Tout comme Coluche en son temps, Molière ou La Fontaine. Je ne me compare pas, mais j’ai l’impression que mon projet humoristique va dans ce sens (p.92) ».
Coluche, Molière ou La Fontaine apprécieront. Ce que je retiens de ce livre, c’est cela : le narcissisme de Dieudonné. Pauvre pitre paumé, qui va pour amuser la galerie inviter le falsificateur de l’histoire, pensant qu’ainsi, il provoquerait des débats. C’est plus que piteux, c’est minable.
Marc Knobel
Photo : D.R.