Tribune
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Publié le 8 Mars 2006

Sarcelles désenchantée

Lorsque nous sommes arrivés il y a quarante-cinq ans à Sarcelles, la cité était encore un vaste chantier où l’on pataugeait dans la boue, mais c’était aussi la ville de l’espoir et de l’amitié. Nous étions tous mélangés dans ces barres de HLM, ces tours qu’il est de bon ton de dénigrer aujourd’hui. Elles apportaient aux réfugiés que nous étions, un confort certain, de la lumière, de l’espace et en prenant possession de leur appartement, les premiers habitants du grand ensemble se considéraient comme des privilégiés.


Sarcelles c’était le havre, l’aboutissement. On en rêvait chez les candidats au départ, à Tunis comme à Casablanca.
Qui se préoccupait alors de savoir si son voisin était blanc ou noir, juif, chrétien ou musulman, tunisien, vietnamien, égyptien ou Antillais ?
Nous mettions en commun nos problèmes et nous n’avions ni le temps ni le loisir d’approfondir nos différences.
La règle d’or était le respect de l’autre, quel qu’il soit et d’où qu’il vienne. Les enfants fréquentaient tous l’école publique et ne posaient aucun problème particulier. Cette ville nouvelle nous a permis de mieux supporter l’exil. Nous l’avons aimée et nous avons la faiblesse de l’aimer encore malgré tout. Mais les temps sont changés !
Au fil des années nous avons assisté, impuissants, à sa métamorphose, à sa dégradation. Quand nous avons souffert de vols à l’arraché de sacs à main ou de téléphones portables, d’agressions dans les couloirs d’immeubles, on a pensé que les mêmes exactions se produisaient ailleurs et qu’elles n’étaient pas particulièrement dirigées contre les juifs. Puis il y a eu d’autres incidents un peu plus ciblés et lorsque l’ambiance devint désagréable dans les écoles pour les élèves juifs, les parents ont préféré les inscrire dans des établissements privés.
Le doute puis l’inquiétude s’installèrent progressivement dans les esprits. Alors, beaucoup ont déménagé dans des communes voisines réputées plus paisibles ou à Paris. Certains allèrent s’installer en Israël.
Cependant le gros de la population juive de la ville a tenu bon, confortée par les louables efforts du maire qui avait réussi notamment à tenir Sarcelles en dehors des émeutes d’octobre-novembre derniers.
Et puis les choses ont changé brusquement et pas seulement à Sarcelles. L’ignoble assassinat d’Ilan Halimi a confirmé que l’antisémitisme renaissait de plus belle dans notre pays, dans sa forme la plus hideuse et la plus sanguinaire. L’inquiétude s’est alors transformée en peur.
Et les agressions dont ont été victimes ces jours derniers sans autre motif apparent que leur religion, des jeunes juifs à Sarcelles et à Lyon, n’ont pas arrangé les choses.
Certes, nous avons conscience que les autorités tant locales que gouvernementales sont décidées à lutter énergiquement contre cette idéologie de la haine qui se répand dans nos banlieues autrefois rouges, mais cela ne rassure qu’à moitié tant on a l’impression que le mal est profond et qu’on a trop tardé à en prendre la mesure.
Alors que faire se demandent les juifs qui n’ont pas la chance d’habiter dans les quartiers encore préservés ? Tenir bon ou partir ? Changer de ville ou s’exiler encore ?
Il est bien triste de se poser de telles questions, soixante ans après la Shoah, quarante cinq ans après avoir quitté les incertitudes des pays du Maghreb où nous étions installés depuis deux mille ans, pour venir chercher dans notre France républicaine et laïque la liberté et la sécurité dont certains veulent aujourd’hui nous priver.
André Nahum
Judaïques FM, mercredi 8 mars 2006