Tribune
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Publié le 7 Juin 2011

Se souvenir du «farhud», par Zvi Gabay

Ce texte est publié dans la rubrique Tribunes Libres réservée aux commentaires issus de la presse. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui peuvent être différentes de celles du CRIF.



Alors que de plus en plus d’arabes reconnaissent qu’ils ne sont pas les seules victimes du conflit au Moyen-Orient, le dialogue avec Israël peut avoir lieu sur des bases plus authentiques.



Le 1er juin, les juifs d’Irak ont commémoré le 70ème anniversaire du « farhud », les émeutes anti-juives qui ont eu lieu à Shavuot, en 1941. Lors de ces émeutes, qui rappellent tristement la « nuit de cristal » en Allemagne, au moins 137 juifs –hommes, femmes et enfants – furent assassinés, plusieurs centaines furent agressés et blessés, et la majeure partie de leurs biens fut spoliée. La mémoire de ce massacre demeure vivante pour les juifs d’Irak.



L’agression n’a donné suite à aucune provocation. Les juifs, qui vivaient sur cette terre arabe depuis des milliers d’années, n’avaient pas déclaré la guerre à leurs hôtes. Ils ne s’étaient jamais battus entre eux comme les arabes de la Palestine sous mandat britannique se sont battus contre les juifs venus s’installer en Terre Sainte, et par la suite contre l’Etat juif naissant.



Le monde a beaucoup entendu parler de l’ « injustice » que subissent les Palestiniens, sous le nom de code « Nakba », mais ne sait presque rien du mal fait aux juifs sur les terres arabes. Ce qui s’est passé dans ces pays était en réalité un nettoyage ethnique.



Alors que la « Nakba » palestiniennes est commémorée chaque année à grands frais de manifestations et de couvertures médiatiques, la « Nakba juive » n’a jamais mérité d’attention. Et cela, en dépit du fait que les dommages humains et physiques ont été plus importants : le nombre de juifs forcés d’abandonner leurs maisons avec seulement leurs vêtements sur leur dos s’élève à 856000.



L'ONU, dans sa Résolution 302 adoptée en décembre 1949, a créé l'UNRWA - un organisme chargé de secours et d'éducation et non pas de réhabilitation. Cette politique n'a pas diminué le nombre de réfugiés palestiniens, 4,8 millions (dont deux millions qui sont devenus citoyens jordaniens).



Israël, pour des raisons obscures, n'a pas encore mis la tragédie des juifs dans les pays arabes à l’ordre du jour de son calendrier politique et publique. Le 22 Février 2010, la question a simplement été traitée avec la promulgation de la «loi pour la préservation des droits à l'indemnisation des réfugiés juifs des pays arabes et de l'Iran», qui stipule que toute négociation en vue de la réalisation de la paix au Moyen-Orient doit inclure une indemnisation pour ceux-ci.



Les attaques contre les juifs des terres arabes se sont produites avant même la création de l’Etat d'Israël. En Irak, elles ont commencé par la discrimination dans l'économie, l'éducation et la vie publique. Puis, le nationalisme arabe a allumé les feux de la haine anti-juive, qui a vécu son apogée dans le « farhud » de 1941.Des tragédies similaires ont frappé les juifs de Libye et d'Aden. Dans une vague de pogroms en Libye en novembre 1945, 133 Juifs furent tués et 400 autres blessés; leurs synagogues, leurs entreprises et leurs maisons furent pillées et détruites. À Aden, alors même qu’elle était sous domination britannique, 100 juifs furent assassinés en novembre 1947, nombreux furent blessés, et des centaines de maisons furent rasées. Des pogroms similaires ont eu lieu en Egypte, en Syrie et dans le reste des pays arabes, chaque fois qu’ils ont obtenu l'indépendance au cours du 20e siècle.



La combinaison du nationalisme xénophobe sunnite - intolérant de tous les autres, y compris des chiites, des chrétiens et des Kurdes – et de l'antisémitisme a produit une haine puissante contre les juifs. Cette haine a été encouragée par les nazis, tels l’émissaire allemand à Bagdad, le Dr Fritz Grobba, et par les dirigeants pseudo-religieux, tels Haj Amin al-Husseini (qui avait fui la Palestine sous mandat britannique et trouvé en Irak un lieu commode pour ses activités anti-juives). Les Juifs n’ont pas eu d'autre choix que de fuir des pays arabes qu'ils avaient aidés à fonder et à moderniser grâce à leurs contributions aux gouvernements, à l'économie, la médecine, l'éducation, la littérature, la poésie et la musique.



Le climat de menace anti-juive qui a prévalu dans tous les pays arabes a été accompagné par une escalade de déclarations anti-juives, même depuis la tribune de l'Organisation des Nations Unies. Eliyahu Nawi, un commentateur de la station de radio israélienne en langue arabe, a témoigné qu'à la suite du partage de 1947, les stations de radio arabes diffusaient constamment la chanson «Halu a-Saif Ygul» - «Que l'épée parle ... et élague les cousins (les juifs) ». Ce harcèlement et ces attaques ont conduit les juifs du monde arabe à émigrer en masse, (principalement en Israël, où ils ont reçu la citoyenneté et été intégrés avec succès dans la société). En Egypte, une expulsion de masse a eu lieu au milieu de la nuit, les juifs ont été forcés d’abandonner leurs propriétés personnelles et communautaires - y compris les écoles, les anciennes synagogues et les cimetières, les tombes des prophètes et les hôpitaux. Les autorités arabes ont confisqué ces biens et les ont ensuite utilisés pour leurs propres besoins.



Il y avait certainement dans ces pays arabes des musulmans qui n'ont pas soutenu ces attaques, mais leur voix n'a pas été entendue. Les juifs ont fait office de boucs émissaires…



Ces dernières années, un processus d'éveil a lieu dans le monde arabe, surtout parmi les intellectuels, qui reconnaissent que ce ne sont pas seulement les arabes palestiniens qui ont vécu une Nakba et que les juifs du monde arabe ont aussi subi une catastrophe.



Les dirigeants arabes - les Palestiniens et les autres - feraient bien d'arrêter de répéter le slogan du «droit au retour» et d’illusionner leurs peuples, parce que nous n’avons pas les moyens de revenir en arrière. Alors que de plus en plus d’arabes reconnaissent qu’ils ne sont pas les seules victimes du conflit au Proche-Orient, le dialogue avec Israël peut avoir lieu sur des bases plus authentiques et plus justes.



En Israël, une cérémonie de commémoration s’est tenue le 6 Juin 2011, au centre juif babylonien de Or Yehuda.



Zvi Gabay est un ancien ambassadeur et ancien directeur général adjoint du ministère des Affaires étrangères israélien.



Photo (Zvi Gabay) : D.R.



Source : Jerusalem Post