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Publié le 29 Avril 2009

Seulement 2% des Français s’inquiètent de l’antisémitisme comme étant une menace pour la société française

Dans son rapport annuel sur « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (1) », remis au Premier ministre le 1er avril 2009, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) publie tous les ans un sondage exclusif. A la demande de la CNCDH et du Service d’information du Gouvernement, l’institut CSA a réalisé un sondage en face à face du 18 au 21 novembre 2008, auprès d’un échantillon national représentatif de 968 personnes âgées de 18 ans et plus, constitué d’après la méthode des quotas (sexe, âge, profession du chef de ménage), après stratification par région et catégorie d’agglomération. De ce sondage extrêmement intéressant, nous extrayons (ci-joint) la première question qui a été posée (à ce panel), parce qu’elle nous paraît symptomatique des questions qui doivent susciter notre réflexion.


Question : Pouvez-vous me dire quelles sont vos principales craintes pour la société française ?

Réponses données à l’aide d’une liste
En premier %
Total des réponses %
Le chômage
24
58
La crise économique
22
52
La pauvreté
16
49
L’insécurité
7
24
La pollution
3
19
La drogue
6
15
Le terrorisme
4
12
Le racisme
2
11
Le SIDA
3
10
La corruption et les affaires
2
8
La perte de l’identité de la France
2
8
La mondialisation
2
8
L’intégrisme religieux
2
8
L’immigration
1
4
L’antisémitisme
1
2
Autre
2
5
Aucune
1
1
Ne se prononcent pas
-
-
TOTAL
100
(1)
(1) Total supérieur à 100, les interviewés ayant pu donner trois réponses.
Chômage, pauvreté et crise économique.
Il est clair que la vague d’enquête de 2008 s’est déroulée dans un contexte de fortes inquiétudes. Les Français redoutent d’être touchés par la crise économique. Le chômage suscite donc une vive inquiétude chez nos concitoyens (52%). Quant à la pauvreté, elle est redoutée par 49% des Français. Dans le détail, l’on constate que les jeunes de moins de 30 ans (61%) et les ouvriers (64%) sont les plus préoccupés par le chômage alors que les membres des catégories supérieures craignent d’avantage la crise économique. Si ce sondage devait être mené en ce milieu d’année 2009, il est fort probable que le chômage et la pauvreté constitueraient une plus grande crainte encore qu’en cette année 2008. De ce sondage et ce classement, nous voulons extraire maintenant quelques craintes. Notre attention se portera plus précisément sur le racisme et l’antisémitisme. Un tableau comparatif publié dans le rapport de la CNCDH, permet d’évaluer les différentes tendances de l’année 2002 à l’année 2008.


Le racisme :

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
11
11
16
16
23
17
19
En 2003, 23% des Français disaient craindre le racisme pour la société française. Ce pourcentage s’est réduit de moitié de 2003 à 2007.



Le racisme a-t-il baissé pour autant ? Non, puisque dans le même temps 76% des Français estiment que le racisme est un phénomène répandu en France (dont 17% très répandu et 59% plutôt répandu). Les jeunes de moins de 30 ans (80%) et les sympathisants de gauche (80%) sont les plus sensibles à son existence.



Cependant, la proportion de Français se déclarant eux-mêmes racistes diminue légèrement :
- 5% se disent « plutôt racistes » (-1 point par rapport à 2007).
- 18% se disent « un peu racistes » (-3 points).
- A l’inverse, rapporte la CNCDH, 23% ne se disent pas « très racistes » (-1 point).
- 52% « pas racistes du tout » (+ 4 points.)
L’antisémitisme

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
2
2
2
2
4
6
3
Si les « Nord/Africains, musulmans » sont perçus comme les principales victimes du racisme (pour 78%), et si le racisme suscite la crainte de 11 à 23% de nos concitoyens, l’antisémitisme reste stable dans ce tableau des années 2005 à 2007, puisqu’il ne suscite la crainte que de… 2% des Français.



Comment pouvons-nous comprendre ces réponses ? Il faut être extrêmement prudent, bien sûr. Mais, nous ne pouvons que marquer notre étonnement. Comment se peut-il clairement que l’antisémitisme ne soit perçu que par 2% de nos compatriotes comme étant un danger pour la société française ?



Elaborons alors deux hypothèses :



Hypothèse 1 : nos compatriotes ont une perception insuffisante de la gravité de l’antisémitisme.



Nous allons le voir cette hypothèse se dessine plus ou moins, elle est même relativement déroutante. Cet item a en effet retenu toute notre attention, dans le rapport 2008 de la CNCDH. A la question :



Quelles sont, à votre avis, les principales victimes du racisme en France ?



Les « Nords/africains, musulmans ».

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
42%
48
47
42
46
47
39
Les « Arabes » :

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
24%
25
25
25
21
20
16
Les « Maghrébins » :

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
11%
13%
14%
10%
17%
15%
15%
Les « musulmans » :

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
4
6
6
3
6
8
6
Les « Africains/Noirs » :

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
28%
26
24
16
24
20
17
Les « Etrangers/immigrés » (sans précision) :

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
27%
27
266
25
19
17
23
Les « Français » :

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
6
8
7
12
6
10
10
Les « Juifs » :

Novembre 2008
Rappel novembre 2007
Rappel novembre 2006
Rappel novembre 2005
Rappel novembre 2004
Rappel novembre 2003
Rappel novembre 2002
5%
5
7
6
15
13
5
Ce sont donc les « minorités nationales, ethniques ou religieuses » qui demeurent les plus exposées au racisme, puisque 78% les désignent comme les principales victimes de racisme en France. Au sein de ces dernières, ce sont les « Nord-Africains/musulmans » qui apparaissent comme les plus stigmatisés (42%). Ils précédent les « Africains/Noirs » avec 28% et les « étrangers ou les immigrés en général » : 27%. Viennent ensuite, loin derrière, les « Français », les « juifs » et plus loin encore, les Tsiganes et les asiatiques.



15% (2004) et 13% (2003) de nos compatriotes ont (réellement) perçu que les actes antisémites ont fortement augmenté en 2003 et en 2004. Ce chiffre peut paraître rassurant, il ne l’est pas. En 2002, en 2003, en 2004, les violences et les menaces antisémites sont très importantes. Comment se fait-il en ce cas que peu de Français perçoit cette augmentation constante de l’antisémitisme ?



Pour rappel : cette évaluation des violences et menaces antisémites depuis dix ans (CNCDH) :



81
1999
82
2000
744
2001
219
2002
936
2003
601
2004
974
2005
508
2006
571
2007
402
2008
397
Cependant, en 2007, l’antisémitisme (402 actions et menaces) enregistre (selon le ministère de l’Intérieur) une nette baisse (- 32,5%) par rapport à 2006 (571 actes). En 2008, les chiffres se stabilisent (397 actions et menaces antisémites contre 402 en 2007), soit une petite baisse de 1,2%. Ces baisses enregistrées tant en 2007 et 2008 influent probablement puisqu’en 2006, 7% des Français estiment que les juifs sont les principales victimes du racisme. Ce taux descend à 5% en 2008.




Hypothèse 2
L’antisémitisme ne menace pas notre société.



Cette hypothèse est trop hasardeuse, nous devrions donc l’éliminer. Pourtant… Lorsqu’un sondage porte sur les craintes exprimées par nos compatriotes, il nous paraît évident que les Français disent avoir peur avant tout du chômage, de la situation économique, de la pauvreté ou de l’insécurité. Mais, qu’en est-il par contre du racisme et de l’antisémitisme ? Et, dans ce cas de figure, combien sont-ils probablement à considérer que les seules victimes du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme ne sont finalement que ceux qui le subissent directement (les arabes, les noirs, les juifs, etc…), et non l’ensemble de notre société. En ce cas, ne devrions-nous pas rappeler que les valeurs républicaines, le tissu social, la cohésion nationale est bien mise à mal, lorsque des gens sont stigmatisés en raison de leur appartenance à une religion, à une « race », à une nationalité et lorsqu’ils sont victimes de préjugés et de stéréotypes ?



Lourde tâche que de réveiller les consciences. Non ?
Marc Knobel
Note
1) Commission nationale consultative des droits de l’homme, La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, La documentation française, Paris 2009, 259 pages, 19 euros.
Autre article sur ce sujet, sur le site du CRIF : http://www.crif.org/index.php?page=articles_display/detail&aid=5482&retu...