Tribune
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Publié le 25 Avril 2008

«Shalom. Je suis votre frère»

« Ce voyage a énormément de signification. Il existe aujourd’hui une nouvelle Pologne qui émerge, capable d’assimiler l’histoire complète non enjolivée. » C’est ce qu’a déclaré le président du CRIF, Richard Prasquier, qui a conduit une délégation du Conseil représentatif des institutions juives de France venue assister à la cérémonie du 65e anniversaire du soulèvement du Ghetto de Varsovie du 14 au 17 avril en Pologne. « Ce voyage a beaucoup d’importance pour la majorité des participants originaires de la région. Ils sont venus voir où habitaient leurs familles avant ou pendant la guerre et rendre hommage aux disparus. »


« La Pologne a fait un travail de mémoire considérable. Les Polonais reconnaissent l’importance de l’histoire juive dans ce pays », explique, Sebastian Rejak, responsable du département de l’Afrique et du Moyen-Orient au ministère polonais des Affaires étrangères, qui évoque également le bond en avant des relations israélo-polonaises. «Des échanges culturels et des voyages sont organisés entre jeunes Israéliens et Polonais afin de mieux faire connaître la culture polonaise et lutter contre l’image d’une Pologne considérée comme un énorme cimetière ».
C’est dans cette optique que va être mis en place le musée d’histoire juive de Pologne qui retracera 1000 ans de présence juive sur ce territoire. Situé dans l’ancien ghetto de Varsovie, en face du monument historique, le musée reconstituera, grâce à la Fondation Evens, présidée par Corine Evens, qui s'est fortement impliquée dans ce programme, la vie sociale des communautés juives de Pologne, aujourd’hui totalement disparues. « Il est fondamental pour la mémoire polonaise car beaucoup de jeunes vivent dans un pays où le souvenir des Juifs a été occulté », estime, pour sa part, Richard Prasquier. « Pour nous, ce musée est très important pour la mémoire de l’Europe, après la Shoah. Il est fondamental que le judaïsme polonais reprenne sa place dans la mémoire », ajoute t-il. Véritable centre éducatif et de recherche, ce musée sera un lieu de rencontre et d’échange. Il se place dans un cadre historique et non de propagande. Une jeune équipe entoure le directeur du musée, Jerzy Halbersztadt. Elle recherche des objets ou des photos provenant de collections privées dans le monde entier et développe des projets éducatifs, scientifiques et culturels. « Ce musée montrera à tous que la Pologne a été un endroit accueillant pour les Juifs », précise le président du CRIF sans toutefois oublier les manifestations d’antisémitisme. « Il faut affronter son histoire », lance t-il.
Ce projet est soutenu par le gouvernement polonais. « Je suis heureux de combler un certain vide et de pouvoir honorer des projets culturels », a souligné le ministre polonais de la Culture, Bogdan Zdrojewski, à la délégation du CRIF après l’avoir remerciée pour sa présence et ses activités. « Il est important de garder en mémoire tout ce qu’il y avait de mauvais et de bon dans les relations entre les Juifs et les Polonais. » Ce musée mettra en avant « la vie quotidienne qui rapprochait les Juifs et les Polonais. Il permettra de combattre l’antisémitisme en étant un lieu de la mémoire européenne. C’est un défi », considère Bronislaw Gemerek, historien, ancien ministre polonais et député européen.
Depuis la Shoah et la chute du communisme, on assiste à une renaissance de la vie juive. Même si elle ne connaît pas le dynamisme d’avant-guerre, la flamme se rallume avec douceur et volonté. L’Union des communautés juives de Pologne, dirigée par Andrzej Zozula, compte 500 membres actifs. Cette association organise des activités dans le domaine de l’éducation et fait de l’aide sociale pour des personnes qui sont dans le besoin. Elle gère, également, une cantine Kasher et livre des repas aux personnes âgées. A Varsovie, la fondation Lauder a financé la construction d’une école juive qui compte 200 enfants du primaire et du collège. Les dirigeants de cette institution ne savent pas exactement combien il y a de juifs dans le pays car beaucoup sont issus de mariage mixte, mais il semble qu’il y aurait environ plus de 10000 personnes. Depuis le vote d’une loi au Parlement en 1997, chaque congrégation religieuse est totalement libre. A charge pour chacune de pourvoir aux dépenses nécessaires.
Ce renouveau est considéré comme une « revanche » après ces années de terreur. Aussi la venue du président de l’Etat d’Israël pour cette commémoration a une valeur symbolique. Accueilli chaleureusement par la communauté juive à la synagogue de Varsovie rue Twarga, Shimon Peres a déclaré : « Je suis venu ici pour entendre le Kaddish et la Hatikva. » Il a salué cette «nouvelle Pologne» et a insisté sur les « excellentes relations » entre les deux pays parlant même de « relations stratégiques ». Shimon Peres a rappelé l’influence de la culture juive polonaise en Israël et ce qu’elle a apporté à ce jeune pays. Pour cela, « Israël est reconnaissant ». « Je suis très heureux d’être dans ce lieu que les nazis voulaient éradiquer », a-t-il ajouté en souhaitant « aux Juifs de vivre pleinement leur judaïsme dans le cadre polonais ». Un moment émouvant que les jeunes enfants de la chorale, ni même les autres personnes présentes, n’oublieront pas. Un moment qui relancera les relations entre les Juifs et les Polonais. Pour Bronislaw Gemerek, « il faut surmonter l’héritage douloureux et la méfiance réciproque».
Justement, l’intervention du président polonais à la cérémonie officielle en présence de son homologue israélien, va dans ce sens. Devant le monument aux morts qui rend à la fois hommage aux victimes déportées mais aussi aux héros de la révolte du ghetto et de résistance juive, Lech Kaczynski a parlé « au nom de toute la Pologne pour dire cet évènement essentiel ». « Ce soulèvement général unitaire fait partie intégrante de l’histoire de la Pologne », précise t-il. « Jamais plus, la nationalité, la religion ou les convictions ne doivent être la cause, non seulement de la mort, mais également de persécutions. Que peut-on dire face à un tel crime ? Seulement et uniquement : jamais plus. Nous voulons faire tout pour que nos relations avec l'Etat d'Israël soient les meilleures possibles. Nous considérons que c'est notre devoir », a déclaré Lech Kaczynski. De son côté, Shimon Peres a rappelé « l’histoire commune » des Juifs et des Polonais. Aujourd’hui, « la revanche d’Israël est son développement dans tous les domaines. (…) Les portes de Sion se sont ouvertes pour les Juifs. C’est ça notre revanche. Après tout ce qui s’est passé, nous prêchons la paix, c’est ça notre revanche. C’est la victoire de la lumière après l’obscurité », a-t-il lancé.
Le 19 avril 1943, le soulèvement du ghetto est déclenché par 400 insurgés de ŻZW (Union Militaire Juive) conduits par Dawid Moryc Apfelbaum et Paweł Frenkel et environ 40 combattants de la ŻOB (Organisation juive de combat) sous les ordres de Mordechaj Anielewicz. Parmi eux figure Marek Edelman. Agé de 85 ans, il vit toujours en Pologne. Il est le dernier survivant de cette insurrection. Le ministre des Affaires étrangère, Bernard Kouchner, lui a remis la médaille de commandeur de la Légion d’honneur à l’ambassade de France à Varsovie, le 15 avril. "Pour moi, Marek Edelman personnifie l'héroïsme et la persévérance", a dit le chef de la diplomatie française.
"Nous tirons pour que de l’autre coté du mur on nous entende, nous tirons pour vivre, pour exister, nous tirons parce que nous sommes vivants", déclarait Edelman. Lorsque les combats ont pris fin, Marek Edelman s’est sauvé par les égouts grâce à la résistance polonaise qui attendait les combattants en dehors du ghetto avec des camions. Il a ensuite été recueilli par une infirmière qui est devenue plus tard son épouse.
3500000 Juifs polonais ont péri pendant la Shoah. Mais un certain nombre ont été sauvés par des gens qui croyaient en l’humanité. Ces Justes parmi les nations sont toujours très discrets et quand on leur pose la question : «Pourquoi ?», ils répondent que malgré la peur c’était naturel et évident.
La famille Michalski a caché pendant deux ans une mère et son jeune bébé. Claude Hampel, qui dirige les Cahiers Bernard Lazare, était dans le ventre de sa mère quand celle-ci a échappé à la déportation et est sortie du ghetto de Varsovie en 1943. Le premier soir de son arrivée en Pologne, il rencontre le fils de cette famille, qui était âgé de 11 ans à l’époque. L’émotion gagne les deux hommes. Slavomir raconte: « Ma mère nous a réunis et nous a demandés ce que l’on devait faire. On a bien sûr décidé de cacher cette femme. » Claude est né dans la maison des Michalski. « Quand je rentrais à la maison, je regardais toujours s’il y avait de la fumée dans la cheminée, signe que personne n’avait été arrêtée. » Personne dans le village ne savait que la famille cachait des Juifs. « Pendant deux semaines des soldats allemands se sont installés dans une pièce de la maison. Nous vivions dans la cuisine. Claude et sa mère étaient cachés dans une quatrième pièce au bout de la maison. Pour éviter d’être repérés par les Allemands nous mettions la main sur la bouche du bébé pour camoufler ses pleurs. » La famille de Slavomir a reçu la médaille des Justes à titre posthume.
Beaucoup d’enfants ont été caché pendant la guerre ignorant qu’ils étaient juifs. Aujourd’hui, ils découvrent leurs origines. Parmi eux des officiers de l’armée ou des prêtres. C’est le cas de Gregory Pawlowski, caché pendant la guerre par des sœurs et qui vit aujourd’hui à Yaffo. C’est seulement au bout de 27 ans qu’il a pu retrouver son frère. Ce dernier vivait en Israël. « Je pense que je peux être juif, Israélien et prêtre catholique, car c’est pour moi une vocation », explique t-il à la délégation du CRIF reçue par l’archevêque de Lublin, Mgr Jozef Zycinski. Romuald Weksler-Waszkinel, lui, a été confié par sa mère à l’âge de 5 mois à une femme qui l’a adopté. Il n’a découvert ses origines juives qu’à l’âge de 30 ans et a pu retrouver le frère de son père en Israël.
Les relations entre les Juifs et les Catholiques connaissent une nette évolution. « Il y avait une attente du dialogue entre les deux communautés qui a été lancé par Jean-Paul II », explique Bronislaw Geremek. « Je suis très optimiste car les mentalités ont changé radicalement », indique Mgr Jozef Zycinski. « Nous voulons que les jeunes polonais aient le même discours que Jean-Paul II », discours de dialogue et d’ouverture.
Des prêtres font un travail de mémoire avec les jeunes polonais. Ils organisent, entre autres, la restauration d’anciens cimetières juifs laissés à l’abandon et récupèrent des stèles prises par des paysans pour leurs travaux. Des murs de stèles sont ainsi édifiés. Les jeunes polonais participent également à la marche des vivants. Pour Bronislaw Geremek, il s’agit « d’une bonne préparation pour le rapprochement entre Chrétiens et Juifs ».
L’influence néfaste de Radio Marija qui propage ses idées xénophobes et antisémites n’inquiète par l’archevêque de Lublin. D’après lui, « il s’agit d’un phénomène ‘Le Pen’ ou ‘Haider’ ». « Ce sont surtout des personnes très conservatrices et âgées qui sont attirées par ce genre de discours et qui n’acceptent pas la réalité ». Quant à « l’Eglise de tous les Saints » à Varsovie, qui abritait une librairie antisémite et dont les membres distribuaient des tracts xénophobes à la sortie du lieu de culte, ses activités se sont interrompues depuis le changement de curé en 2007, explique Sebastian Rejak. Toutefois, les Juifs polonais restent vigilants face à cet « antisémitisme pragmatique » comme l’a nommé Mgr Zycinski. L’’antisémitisme n’a pas besoin de Juif dans un pays pour être alimenté et les préjugés sont tenaces. Aussi lorsque l’on revient sur la question, le responsable de la communauté juive, Andrzej Zozula, répond : « Où y en t-il pas ? ».
Par conséquent, le travail commun, pour faire ressurgir la vérité historique et mettre en avant le destin commun des Juifs et des Polonais, a un rôle essentiel. Tomasz Pietrasiewicz et Witold Dabrowski, les directeurs de centre culturel à Lublin, « Brama Grodzka City Gate Theater NN », se consacrent à la renaissance et à la préservation du patrimoine juif de Lublin. Ils collectent d’anciennes photographies, des témoignages et documents divers afin de ressusciter cette mémoire disparue. Tous les 16 mai, date de la liquidation du ghetto de Lublin, ils organisent une cérémonie au cours de laquelle ils éteignent les lumières dans la partie juive de la ville tandis que la partie chrétienne reste allumée. L’exposition permanente du centre culturel présente la vie juive au quotidien avant la guerre. Des photographies mêlées au bruit de la ville plonge le visiteur dans cette atmosphère juive polonaise d’avant-guerre. Le centre rend également hommage à l’écrivain originaire de Lublin, Anna Langfus, qui a été prix Goncourt avec son livre, « Les Bagages de sable », ainsi qu’à un petit garçon, Henio, déporté à l’âge de 8 ans à Maidanek.
Tomek Pietrasiewicz a grandi à Lublin. Avant la guerre, un tiers de la population de la ville était juive, mais chez lui, personne n'a jamais dit un mot à propos des Juifs ou de l'Holocauste. "À l'école primaire, nous avons eu cette ancienne enseignante. Un jour, elle nous a raconté une scène dont elle a été témoin pendant la guerre. Un jeune garçon âgé de 9-10 ans dans son village a été traîné hors de chez lui par un soldat allemand. Il a défilé, avec un groupe d’adultes, dans la rue principale. Et avant d’être fusillé, ses cheveux sont devenus blancs en quelques secondes. Cette histoire m’a profondément marquée. Quelques années plus tard, j’ai revu mes anciens camarades de classe et leur ai demandé s'ils se souvenaient de cette histoire. Aucun d'entre eux ne s’en rappelait. Je me suis rendu compte que j'étais la seule personne à rappeler la mémoire de ce garçon, et que si je faisais rien, personne ne saurait qu’il avait vécu».
Aujourd’hui, la jeune génération s’ouvre vers les autres communautés, elle qui n’a connu que la Pologne libérale et démocratique. A l’image de l’archevêque de Lublin, qui a accueilli la délégation juive française par un grand « Shalom, je suis votre frère », la jeunesse polonaise a envie de dire qu’elle amie d’Israël, des Juifs et des Européens, elle est.
Stéphanie Lebaz

Photos : © 2008 Sylvie VAGER et CRIF