Tribune
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Publié le 9 Avril 2010

Shimon Peres à Paris - Israël et l’Afrique

En attendant la venue en France du président de l’État d’Israël, Shimon Peres, qui sera à Paris dans quelques jours, notamment pour inaugurer, aux côtés du maire de Paris, Bertrand Delanoë et de Madame Rachida Dati, maire du 7ème arrondissement, la promenade David Ben Gourion, nous poursuivons la publication, en bonnes feuilles, d’ extraits du livre qu’il a écrit en 2003 en collaboration avec Jean-Pierre Allali, Un temps pour la guerre, un temps pour la paix (Éditions Robert Laffont).




Aujourd’hui : Israël et l’Afrique



Il y a un continent au sort duquel je suis très attaché, c'est l'Afrique. Israël, il y a quelques dizaines d'années, s'y est beaucoup investi, entretenant des relations avec la quasi-totalité des pays africains. On a assisté, hélas, peu à peu, à un retournement complet. La récente conférence de Durban, en Afrique du Sud (1), a montré l'étendue du fossé qui s'est creusé entre Israël et l'Afrique et, plus grave, entre les Juifs et le monde noir. Je me souviens du temps où les Africains cherchaient à tirer profit de l'expérience israélienne et à imiter les façons de faire d'Israël en les adaptant à leur pays. Notamment dans le domaine de l'agriculture, dans celui de la création de structures étatiques ou encore dans celui de la mise sur pied d'organisations de jeunesse. Israël présentait la particularité d'être à la fois un État extrêmement développé et un pays très exigu. Ce qui rassurait nos partenaires africains qui, en aucun cas, ne pouvaient voir en nous une menace de conquête coloniale qui les inquiétait quand il s'agissait de leurs relations avec de grands pays. Nous venions vraiment à eux avec des sentiments fraternels pour contribuer à leur développement. Aujourd'hui, après avoir acquis leur indépendance, les pays africains sont arrêtés dans leur élan par les graves problèmes qu'ils rencontrent. Et s'il est vrai que l'impérialisme comme le colonialisme ont été vaincus, les frontières, souvent factices, les découpages issus de la volonté des anciens dominateurs sont demeurés et l'Afrique se retrouve ainsi divisée et livrée à des combats à caractère ethnique entre majorités et minorités des pays des anciens empires. Les guerres civiles ravagent le continent africain avec des majorités qui veulent hargneusement en finir avec leurs minorités issues d'autres groupes tribaux. Quant à l'aide financière extérieure qui est fournie à l'Afrique, elle se transforme en cauchemar. (Par un véritable tour de passe-passe, on a pris l'argent des impôts des populations pauvres des pays riches pour l'offrir en cadeau aux riches et aux puissants des pays pauvres. C'est hallucinant !) Cela a conduit certains dirigeants africains et leur entourage à faire des dépenses de prestige sans commune mesure avec la pauvreté endémique de leurs pays et les conditions de vie misérables des populations dont ils avaient la charge. Alors, que faire pour sortir l'Afrique de ce marasme ? Je crois que la solution se trouve dans le modèle adopté par l'Europe : l'union. L'Afrique va vers la coopération économique malgré ses divisions ethniques. Cette construction a déjà été ébauchée et deux ou trois organisations de communautés de pays africains existent. Je pense notamment à l'OUA, Organisation de l'unité africaine, organisation intergouvernementale créée en 1963. Ou encore à l'UEMOA, Union économique et monétaire ouest-africaine.



Il faut abandonner complètement la farce tragi-comique et artificielle qu'a constituée en son temps l'organisation des pays dits non alignés, avec Tito, Nasser, Castro, Nehru(2). Non alignés avec qui, avec quoi ? S'étaient-ils même posé la question ? Ce concept rétrograde a empêché le développement de l'Afrique qui en est en quelque sorte la victime.



Méprises africaines



Certains pays d'Afrique qui, par opportunisme, par calcul, ont, aux Nations unies, mêlé leurs voix à celles des pays arabes dans la condamnation répétitive et mécanique d'Israël, réalisent qu'ils se sont trompés. Ils n'ont pas tiré le bénéfice escompté de leur volte-face en termes de soutien financier ou d'investissements arabes et commencent à mesurer l'ampleur des illusions dont ils se sont longtemps bercés. Mais au moment même où ces pays réalisent leur méprise, on voit poindre un nouveau grand problème en Afrique : la pénétration insidieuse de l'islamisme. Trente pour cent des Africains ont adopté l'islam. Des pays autrefois chrétiens, comme l'Éthiopie, voient leur culture changer.



L'Afrique est ainsi, paradoxalement, partagée entre sa désillusion politique vis-à-vis du monde arabe et une attraction religieuse vers l'islam.



Paradoxe des paradoxes, plusieurs États africains voudraient jouer un rôle de bons offices dans le processus de paix entre Israël et les Palestiniens.



Au président sud-africain, Thaba Mbéké, qui me faisait part de son souhait, j'ai rétorqué que cela ne pourrait se faire que dans le cadre d'un rééquilibrage de la politique des États africains avec les deux parties.



Que faire, donc, pour sortir l'Afrique de l'ornière ? Je pense que ce continent dispose d'un énorme trésor naturel : son potentiel de production d'électricité pure. Toute en paradoxes, l'Afrique, c'est d'un côté le désert avec sa désolation extrême et, de l'autre, les grandes chutes d'eau avec l'énergie exceptionnelle qu'elles représentent. L'Afrique peut gagner sur les deux tableaux. En développant parallèlement l'énergie solaire et l'énergie hydroélectrique. Et en devenant un fournisseur important d'énergie pure pour l'Europe. Celle-ci, en effet, rencontre de nombreuses difficultés, aussi bien avec le charbon et le pétrole qu'avec l'énergie nucléaire. La pollution engendrée atteint des sommets inquiétants. Si l'Afrique fournissait à l'Europe une énergie pure dépourvue de pollution, on assisterait à une véritable révolution. A son modeste niveau, Israël, grâce aux nombreux contacts dont il dispose en Afrique, cherche à jouer un rôle de marieur entre l'Europe et le continent noir pour un projet ambitieux qui coûterait quelque soixante milliards d'euros, soit six milliards d'euros par an, ce qui n'est pas très élevé en regard du résultat prodigieux qui serait obtenu. Tout cela va dans le sens actuel d'un élargissement général de l'achat des moyens énergétiques. En mettant fin au concept de monopoles nationaux en la matière, l'Europe a fait un grand pas puisque, aujourd'hui, rien n'empêche l'Italie, par exemple, d'acheter son électricité à la France.



Notes :



1. La conférence des Nations unies contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance, qui s'est tenue à Durban, en Afrique du Sud, fin août et début septembre 2001, a été le théâtre d'un accès de fièvre anti-israélien et antijuif qui a provoqué le départ de plusieurs délégations.



2. Josip Broz, dit Tito (1892-1980). Maréchal et homme d'État yougoslave. Président du Conseil et ministre de la Défense en 1945. Président de la République de Yougoslavie en 1953, il a été élu président à vie en 1974 ; Gamal Abdel Nasser (1918-1970). Après avoir, par un putsch militaire, déposé le roi Farouk en 1952, proclamé la république en 1953,il a écarté le maréchal Neguib et pris le pouvoir en Égypte en 1954 ; Fidel Castro, né en 1927. Révolutionnaire et homme d'État cubain, Premier ministre en 1959, il est chef de l'État depuis 1976 ; Jawaharlal Nehru (1889-1964). Homme politique indien, disciple de Gandhi, Premier ministre de 1947 à 1964.


Photo : D.R.