Tribune
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Publié le 25 Mars 2010

Shimon Peres à paris (suite)

En attendant la venue en France du président de l’État d’Israël, Shimon Peres, qui sera à Paris à la mi-avril où il inaugurera, notamment, l’esplanade David Ben Gourion dans le 7ème arrondissement de la capitale, nous vous proposons depuis quelques jours des extraits du livre qu’il a écrit en 2003 en collaboration avec Jean-Pierre Allali, Un temps pour la guerre, un temps pour la paix (Éditions Robert Laffont).



Aujourd’hui : La science est l’avenir de l’homme. L’exemple de la nanotechnologie (Première partie)




Et voici que nous vivons à présent une aventure extraordinaire : la nanotechnologie (1). Il s'agit d'un développement prodigieux qui couvre aussi bien la biologie, la physique, la chimie, l'électronique que tous les domaines de l'activité scientifique humaine. C'est une nouvelle dimension et pas seulement une nouvelle technique. Les véritables puissances se trouvent dans les structures invisibles de la matière, les atomes et les molécules. C'est d'elles que le monde tire sa consistance. Ce sont elles qui créent l'homme. Avec elles, on peut construire ou détruire des univers.



La nanoscience et la nanotechnologie sont la préparation, la caractérisation, la manipulation et le contrôle d'un seul ou de plusieurs petits groupes d'atomes ou de molécules en vue de construire de nouveaux matériaux, à l'échelle du millionième de mètre, dotés de propriétés novatrices qui peuvent être utilisées dans de nouvelles applications et/ou pour réduire les coûts d'applications existantes.



La nanotechnologie s'intéresse aux nouvelles façons de fabriquer des produits. Pour les chercheurs, il existe deux approches de la nano-échelle la contraction de haut en bas et la croissance de bas en haut. Ces deux modèles sont fondamentalement différents, à la fois du point de vue de la création des structures et de la science sous-jacente qui rend cette création possible.



L'approche « haut-bas » entraîne la réduction de la taille des structures les plus petites vers la nano-échelle. Il s'agit essentiellement de créer des nanostructures à partir d'objets plus grands. C'est pourquoi, a priori, la nanotechnologie « haut-bas » est plutôt du ressort de la nanoélectronique et du nano-génie. Il y a bien sûr des limites physiques à cette approche « haut bas ». Lorsque les dimensions atteignent l'échelle atomique, les procédures de fabrication visent plutôt à manipuler les molécules individuelles. Les forces et les interactions entre ces molécules prennent alors plus d'importance et de nouveaux paradigmes doivent entrer en jeu.



Les techniques « bas-haut » impliquent, elles, la manipulation d'atomes et de molécules spécifiques. La nano «bas-haut» entraîne en général un auto-assemblage contrôlé ou dirigé des atomes et des molécules en nanostructures. Cela fait plutôt penser aux processus de la biologie ou de la chimie, quand les atomes et les molécules se combinent entre eux pour créer des structures telles que des cristaux ou des cellules vivantes. On peut dire, pour donner un exemple imagé et simple, que la création d'une cellule vivante ou d'un flocon de neige est une sorte de nanotechnologie naturelle en action.



On comprendra aisément, dès lors, que la nanotechnologie est interdisciplinaire. Son développement dépend donc des contributions de la chimie, de la physique, des sciences de la vie et de nombreuses disciplines du techno-génie.



Elle est aussi disruptive, c'est-à-dire qu'elle remplace des technologies plus anciennes par de nouvelles générations de produits et de processus existants. Par exemple, le stockage de données optiques par le biais de supports tels que les disques compacts a changé la physionomie des divertissements et de l'informatique domestiques. Les caméras numériques, établies sur une mémoire solide et les technologies de simulation, remplacent peu à peu la pellicule photo.



Une évolution importante



De nouvelles classes de produits et de nouveaux marchés jusqu'ici inconcevables deviennent possibles. De nouvelles sociétés connaissent un développement rapide tandis que des entreprises installées, mises en concurrence, n'ont d'autre choix que de s'adapter pour ne pas tomber dans l'obsolescence.



Les dirigeants des pays développés n'ont pas manqué de réaliser rapidement l'importance de cette évolution. Aujourd'hui, le financement mondial de la nanotechnologie représente plus de deux milliards de dollars annuels. En 2003, les États-Unis, à eux seuls, y ont investi plus d'un milliard de dollars dont 70 % provenant de fonds publics. Dans de nombreux domaines, l'électronique, l'énergie, la médecine et la défense, notamment, les applications de la nanotechnologie ont fait leur apparition. Une véritable percée est prévue en 2006.



La nanotechnologie va changer la vie des habitants du monde entier. Elle en est à ses commencements et nul ne peut prédire où nous parviendrons quand cette technique atteindra ses plus hauts sommets. Il s'agit d'une miniaturisation inouïe de nos moyens techniques. Faire tenir l'équivalent d'un ordinateur dans l'espace quasi invisible occupé par le chas d'une aiguille par exemple. Déjà, en 1959, Richard Feynman, prix Nobel de physique, avait lancé l'idée, qui parut folle à l'époque, de faire tenir les vingt-quatre volumes de l'Encyclopaedia Britannica sur une tête d'épingle. C'est devenu possible. Mettre sur le marché des matériaux à la fois infiniment minces, infiniment légers et infiniment résistants. Imaginez un char dont l'armature serait faite dans un métal aussi mince que du papier. Des prothèses permettront de remplacer des parties du corps humain. Tout va changer, le domaine civil, la santé, notamment, comme le domaine militaire. Les guerres, au sens actuel, deviendront invisibles. Tout comme on sait faire aujourd'hui des avions sans pilote, on parviendra à des armées sans soldats. Cela permettra la création d'un système d'armement nouveau dans le combat contre le terrorisme. On s'achemine vers une ère extraordinaire. Grâce au développement de la microélectronique et de la technique des puces, la nanotechnologie frappe désormais à nos portes. Nous allons pouvoir manipuler directement les atomes et les molécules en voyageant au centre de la matière.



Moi-même, qui ai été l'un des tout premiers Israéliens à introduire ici le nucléaire, je suis passionné par la nanotechnologie. Le monde entier en général et Israël en particulier sont déjà engagés dans cette voie. C'est une science en marche et des produits créés par elle existent désormais. Et, comme cela a toujours été le cas dans les développements qu'a connus l'humanité, c'est l'armée qui va être l'initiateur et le vecteur de cette nouvelle et extraordinaire avancée technologique. En effet, chaque résultat d'une recherche militaire qui aboutit a toujours servi, dans une version différente, dans le domaine civil. C'est le cas de nos jours au sein de l'armée américaine où les investissements sont énormes. Car, aujourd'hui, les guerres se gagnent grâce au contrôle des communications qui sont le nerf même des conflits. Et si vous êtes en mesure de produire un ordinateur invisible à l'œil nu qui pourra intervenir dans tous les systèmes de communication, vous serez, d'évidence, le vainqueur.



1. De nano, préfixe qui, placé devant une unité, la multiplie par 10 puissance moins 9 (10-9). En informatique, un nanoréseau est constitué d'un micro-ordinateur central et d'autres micro-ordinateurs eux-mêmes reliés entre eux.
Photo (Shimon Peres devant la nano-bible qu’il a offert au pape Benoît XVI lors de sa dernière visite en Israël) : D.R.