L’American Jewish Committee est l’une des organisations juives américaines avec laquelle le CRIF entretient des liens privilégiés. En 2010, une première conférence commune a été organisée entre AJC et le CRIF, au Consulat de France, avec le président du CRIF, Richard Prasquier, et le président d’AJC, David Harris.
Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les missions nationales et globales d’AJC ? Que représente AJC, dans le paysage des organisations juives américaines (par rapport à la Conference of Presidents, AIPAC, JStreet, etc.) ?
Simone Rodan-Benzaquen : Il faut savoir qu’AJC est l’une des plus anciennes organisations juives américaines. Avec des bureaux dans 33 états des Etats-Unis, 175.000 membres et 7 bureaux dans le reste du monde, dont 5 en Europe (Paris, Berlin, Bruxelles, Genève et Rome), AJC dispose d’un réseau important sur la scène nationale et internationale. AJC est considéré comme la principale organisation juive internationale.
Les missions d’AJC sont pluralistes et ont à de maintes reprises marquées l’opinion par la qualité et la détermination de ses acteurs. Elles ont trait particulièrement à la défense des droits de l’Homme et des valeurs démocratiques, dans son combat contre l’antisémitisme et contre toutes les formes de racisme dans le monde en facilitant le renforcement des liens entre les communautés. On se souvient notamment de son engagement aux cotés de Martin Luther King pour l’obtention des droits civiques des Noirs américains.
AJC s’est également montré très actif dans le renforcement des relations transatlantiques, avec pour objectifs la défense intransigeante de la sécurité de l’Etat d’Israël et la recherche d’une paix juste au Proche-Orient.
AJC se veut très pragmatique dans le montage de ses missions et dans la perspective du succès de ses objectifs essentiels. Il s’ouvre ainsi largement vers des pays qui n’ont pas de liens diplomatiques avec Israël, et ce afin d’engager une réflexion dynamique pouvant conduire à terme à l’établissement d’un processus de normalisation entre certains pays arabes et Israël.
En puisant ses valeurs dans l’universalisme du judaïsme, AJC se veut être une organisation apolitique et a dogmatique. AJC entretient les meilleures relations avec d’autres organisations non-gouvernementales juives et non-juives et partagent avec elles un sens profond de l’éthique politique, des valeurs et des visions de paix. Dans un ordre d’un monde crispé dont les interrelations se tendent jusqu’à la rupture, AJC milite pour le dialogue et la prise en compte de toutes les opinions respectables. Quand les tyrannies multiplient les frustrations, il faut des acteurs déterminés et engagés dans ce combat pour les libertés, le respect et la tolérance.
Les juifs américains ont majoritairement voté pour Barack Obama aux élections de Nov. 2008. Comment se positionne AJC par rapport aux positions de l’administration américaine sur l’Iran ? La résolution du conflit israélo-palestinien ?
La récente nomination de la Libye pour siéger au Conseil des droits de l’Homme n’a pour l’instant fait part d’aucune réaction de la part de Barack Obama, prix Nobel de la paix. Quelle est la position d’AJC sur ce sujet ?
Oui, en effet plus que 78% des juifs américains ont voté pour Barack Obama. Et selon le dernier sondage qu’AJC a effectué au mois d’avril 2010, 57 % des juifs américains soutiennent toujours la politique du gouvernement Obama ; 55 % des juifs américains considèrent que le président gère bien les relations américano-israéliennes. Concernant l’Iran les Juifs américains sont divisés : 47% d’entre-eux trouvent que Barack Obama a la bonne approche sur l’Iran, 42 % sont en désaccord et 11% sont hésitants.
AJC a toujours entretenu les meilleures relations avec les administrations américaines. Elles se prolongent encore aujourd’hui sous la présidence de Barack Obama. La présence effective de la secrétaire d’Etat Hillary Clinton au récent meeting annuel d’AJC a été reconnue et appréciée.
AJC reconnaît la volonté américaine pour une recherche juste du conflit israélo palestinien et approuve une politique qui tienne compte de la réalité de la sécurité d’Israël et de la nécessité d’un Etat palestinien démocrate et apaisé. AJC appuie la position de l’administration américaine dans sa forte opposition contre un Iran nucléaire et soutient sa volonté (d’ailleurs en étroite collaboration avec la France) au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU d’imposer des sanctions contre l’Iran. Concernant la récente et surprenante nomination de la Libye au Conseil des droits de l’Homme, AJC a exprimé, à travers son bureau à Genève “UN Watch”, son étonnement et son très vif mécontentement. Cette nomination étant un désaveu terrible à l’idée même du Conseil des droits de l’Homme, eu égard aux violations flagrantes des droits de l'Homme en Libye. AJC reconnait le désir de l’administration américaine de favoriser une approche multilatérale et soutient l’adhésion récente des Etats Unis au Conseil des droits de l’Homme, cependant AJC continuera de presser le gouvernement américain d’user de son influence pour lui rendre sa légitimité.
L’AJC a ouvert un bureau en France avec Valérie Hoffenberg, nommée depuis représentante spéciale de la France pour le processus de paix au Proche-Orient par le président Nicolas Sarkozy. Simone Rodan-Benzaquen, vous avez été choisie par l’AJC pour représenter l’organisation. Comment définiriez-vous votre rôle : s’agit-il d’une mission d’observation des attitudes des français vis-à-vis des juifs de France ? S’agit-il de rapports sur les positions politiques françaises vis-à-vis du Moyen-Orient ? Souhaitez-vous également faire passer des messages à la classe politique française, qui émanent de votre organisation-mère aux Etats-Unis? Est-ce que l’image de représentante d’un « lobby » étranger est bien acceptée par la classe politique?
AJC a toujours reconnu à la France un rôle crucial. Compte tenu de son histoire, de son rôle leader en Europe et de l’importance de sa communauté juive, la France continue de jouer un rôle essentiel au Proche Orient et dans le monde. AJC reste un des relais les plus investi pour une construction des liens entre l'Europe et les États-Unis au service des plus hauts intérêts d'un monde en paix. AJC s’est toujours prononcé pour une réflexion juste dans l’approche des conflits et s’engage sans relâche auprès des gouvernements démocratiques, ouverts et cohérents. C’est dans cette perspective que Valérie Hoffenberg a œuvré durant tout son mandat à la direction d’AJC France, avec force et détermination. Et c’est son travail pertinent qui lui a valu sa récente promotion comme représentante spéciale pour le processus de paix au Proche-Orient. A mon tour, forte de toutes les expériences passées et de l’influence reconnue d’AJC, je m’engage à renforcer les relations avec les responsables politiques français de tous bords et de la société civile. Je mettrai tout en œuvre pour impliquer davantage l’Europe dans le procéssus de paix et pour promouvoir un dialogue interreligieux et intercommunautaire plus serein en France. Je suis redevable, dans mon travail en France, de la très grande respectabilité d’AJC à travers le monde. C’est ainsi que les plus hauts responsables politiques français, Nicolas Sarkozy, François Fillon ou Dominique Strauss-Kahn ont honoré de leur présence la conférence annuelle d’AJC à Washington.
Comment envisagez-vous les relations entre AJC et le CRIF ? (Rappeler les valeurs que AJC et le CRIF partagent, etc). Voyez-vous des conflits d’intérêts possibles ? Des axes de développement en commun ?
Une de mes premières actions à la direction d’AJC France fut d’appeler le président du CRIF Richard Prasquier pour lui proposer une collaboration constructive et l’élaboration de projets communs. J’ai depuis longtemps suivi le travail du CRIF et notamment celui de son actuel président pour lequel j’ai une grande estime. J’ai pour ma part toujours ignoré les conflits d’intérêts entre les organisations militantes pour axer toute mon énergie à la réussite des objectifs essentiels et si importants que ceux que nous initions. Nous avons tous besoin de nos complémentarités et d’unir nos efforts des deux côtés de l’Atlantique. AJC a toujours souhaité soutenir les actions du CRIF. Je pense que nous partageons les mêmes valeurs universalistes et le mêmes désirs de dialogue et d’ouverture afin d’avancer la société française vers une société plus tolérante et plus juste. Nous serons donc certainement amenés à organiser de nombreux projets ensemble.
Propos recueillis par Eve Gani
Photo : D.R.