À Rodez, le 23 avril 2009, Janine Blum pensait avoir « bouclé la boucle ». Du moins estimait-elle avoir commencé le travail de deuil de sa sœur Madeleine, décédée le 15 mai 1945 du typhus à Therezienstadt, aujourd’hui Terezin, en République tchèque. Les deux sœurs, collégiennes, avaient été arrêtées dans l’Aveyron où elles étaient réfugiées avec leur famille belfortaine. Dénoncées comme juives, elles avaient commencé, le 23 avril 1944, un long chemin vers l’enfer, d’abord Auschwitz, puis Ragun, et enfin Therezienstadt que les Allemands avaient érigé comme « camp modèle », parce que la Croix Rouge venait y visiter les prisonniers… C’est pourtant là que Mado a rendu son dernier souffle, à l’âge de 16 ans, victime du typhus, et Janine croyait bien ne plus jamais pouvoir trouver de traces de sa chère sœur disparue. « Rodez était le dernier endroit où elle avait été localisée », explique Didier Blum, un des fils de Janine. Et Madeleine n’était plus qu’une étoile filante, un nom sur un registre, une dernière photo et un acte de naissance.
Le nom, le prénom et la date du décès
C’était sans compter sur la magie d’Internet : « Au cours d’un échange avec des amis allemands qui font de la généalogie, mon frère a pris contact avec les Archives de Therezienstadt », raconte Didier Blum. Il a fallu presque deux temps et trois mouvements pour qu’il reçoive la photographie d’une tombe prise au cimetière national de Terezin, qui compte un grand carré de victimes juives du nazisme, « un énorme cimetière très bien entretenu où sur chaque tombe, bien alignée, pousse un petit arbre ». Sur la stèle, les nom, prénom et date de décès de Mado. Sans incertitudes, malgré deux « a » dans Madeleine et deux jours de décalage pour la date de décès. La date a été modifiée, pas le prénom.
Le 15 mai 2010, soixante-cinq ans tout justes après le départ de Mado, Janine a entrepris ce long voyage, avec son époux Georges, pour retrouver Mado. « Enfin, elle a son nom quelque part, une trace de son passage. Combien de gens ne savent pas où sont allés leurs parents ? » remarque Didier, encore ému. Pour Janine, ce voyage fut chargé de symboles : « J’étais déjà allée sur place il y a une dizaine d’années, mais je ne l’avais pas trouvée. Pourtant, j’avais parcouru tout le cimetière, raconte-t-elle doucement. J’ai aussi retrouvé la maison où nous avons logé quand nous avons été déportées mais Terezin est redevenu une ville aujourd’hui, je n’ai pas pu y entrer ». Seul regret : « Que mes parents n’aient jamais connu l’existence de cette tombe » mais une plaque, sur leur sépulture, rappelle la mémoire de Mado. Qui ne sera pas rapatriée à Belfort : « Elle est très bien là-bas, au milieu de ceux qui ont souffert ».
Le 23 avril 2009, « on pensait que la plaque de Rodez était le dernier geste qu’on pouvait faire pour elle ». Dans le judaïsme, le symbole est très fort : « Quand quelqu’un décède, explique Didier, o n attend un an avant de poser la pierre tombale ». En un an, Janine a bouclé la boucle : Mado a laissé sa trace sur terre, pour l’éternité.
Article publié vendredi 3 septembre 2010, dans le journal l’Alsace.
Photo : D.R.