Tribune
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Publié le 4 Juin 2007

Spécial Guerre des Six Jours Théo Klein. 1967 : Les juifs de France s’organisent pour Israël

Il me faudrait un espace trop large et un temps trop long pour évoquer le mois de mai 1967 et les premiers jours de juin, lorsqu’Israël a fait irruption dans la conscience des communautés juives dans le monde.


Frappés d’étonnement et de crainte, réagissant à la propagande arabe qui menaçait de « jeter les juifs à la mer », les juifs à travers le monde – et très fortement en France – ont été saisis brusquement dans leur corps comme dans leur pensée de la sensation profonde que cette menace, bien que géographiquement lointaine, les concernait directement. Toucher à l’État d’Israël, c’était mettre les juifs en peine partout dans le monde.
Sans doute est-il difficile pour les jeunes générations de le comprendre tant elles sont habituées à l’existence difficile de l’État d’Israël et aux aléas d’un conflit qui ne se termine pas. Mais, en 1967, l’aventure sioniste était encore relativement lointaine pour beaucoup d'entre nous, et même étrangère à certains qui, cependant, ont été saisis comme les autres.
Ainsi, la menace de cette guerre aura été le temps d’une prise de conscience.
Soudainement mobilisées, les institutions juives ont tout de suite cherché à coordonner leurs efforts. Le CRIF, à l’époque, n’avait plus qu’une existence végétative et c’est tout naturellement que le regroupement s’est fait autour du Fonds social juif unifié, l’organisation juive la mieux structurée et qui, du fait de sa vocation sociale et culturelle, demeurait ouverte à tous. C’est donc autour du Fonds social et de son président, à l’époque Guy de Rothschild, qu’a été formé le Comité de coordination des organisations juives de France, dont j’ai eu la charge de coordonner l’action. Ce Comité aura été la cheville ouvrière d’une action un peu disparate, mais utile et même nécessaire.
Réunis chaque matin à 8 heures, dans des sessions largement ouvertes, nous tentions de définir notre action quotidienne, de lui donner la meilleure efficacité, favorisant les contacts politiques et accueillant les représentants israéliens de passage auprès desquels nous cherchions l’information, en même temps que nous cherchions à leur manifester notre fraternelle solidarité.
Nous mesurions, bien entendu, à quel point notre intervention, malgré une collecte de fonds rapide et réussie, ne pouvait offrir qu’un soutien bien faible à l’affrontement auquel Israël avait à faire face.
Très rapidement, une grande manifestation a été convoquée devant l’Ambassade d’Israël qui se trouvait à l’époque avenue Wagram. Une foule immense s’est regroupée où se mêlait une population multiple ; car, peut-être convient-il de le rappeler, la solidarité qui s’est manifestée alors dépassait largement les rangs de la communauté juive.
Une autre manifestation a suivi quelques jours plus tard, boulevard des Filles du Calvaire dans l’ancien cirque d’hiver, et d’autres encore spontanées et parfois peut-être trop désordonnées.
La France alors se sentait proche d’Israël, peut-être aussi – reconnaissons le – en réaction au mauvais souvenir de la Guerre d’Algérie qui ne s’était terminée que cinq années auparavant.
C’est également dans le cadre de cette action et après la collecte réussie, que l’idée d’une collecte commune est née, répondant aux efforts d’unification et à la prise de conscience générale d’une communauté de destins qui transcendait la large diversité des opinions, des engagements et des organisations.
C’est aussi grâce à cette action qu’a été amorcée la rénovation du CRIF autour d’un triumvirat à la tête duquel a été placé le Professeur Ady Steg.
Il ne faut pas oublier que la communauté juive en France s’était enrichie de l’arrivée des juifs d’Afrique du nord, ce qui a donné aux actions communes une force singulière ; il ne serait pas exagéré de dire qu’une communauté renforcée est sortie de cette période.
J’ai été heureux d’être en charge de l’animation du Comité de coordination avec Pierre Kauffmann et beaucoup d’autres qui replongeaient ainsi, plus de vingt ans plus tard, dans l’action qu’ils avaient menée sous l’Occupation et dans la Résistance.
Bien sûr, la victoire d’Israël en 1967, inattendue et stupéfiante, a galvanisé les énergies et a donné à cette communauté, parfois trop encline au pessimisme et à la méfiance, la capacité de se sentir adulte, maîtresse de sa destinée et capable de parler au sein de la communauté française librement, parfois même fortement, mais – me semble-t-il – à l’époque consciente de ce que la République, de son côté, lui avait apporté sympathie, soutien et solidarité. Ce soutien a longtemps débordé le changement d’orientation que le Général de Gaulle a décidé, alors, de donner à la politique française en Méditerranée et au Proche-Orient, modification qui, sur le terrain, a été largement et longuement freinée par ceux qui se reconnaissaient dans la volonté de vivre de cette démocratie nouvelle ressurgie des temps anciens de la Bible et dont la devise était celle de l’espérance.
Théo Klein