Tribune
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Publié le 19 Avril 2010

Traite des Noirs et Jazz

« Ce n’est pas facile, a expliqué la Gouverneure générale du Canada Michaëlle Jean, de trouver les mots après avoir visité la maison des esclaves (de Gorée, au Sénégal). Je suis très reconnaissante envers le conservateur qui prend le temps de nous dire et de nous expliquer ce qui s’est passé au cours de ce trafic humain infâme ». Elle a ainsi estimé que « cette traite des esclaves, ce commerce triangulaire a dénié à des hommes, des femmes et des enfants toute dignité en les renvoyant à l’état de sous-hommes, dépossédés de leur nom, de leur histoire et de leur culture ». « Je suis très concernée par cette histoire. J’ai fait un voyage au Ghana en 2006 et on m’avait expliqué la même chose. J’aime bien la côte mais je dois vous dire que cet océan (Atlantique) m’a toujours angoissée », a affirmé le 16 avril 2010 à l’agence de presse sénégalaise, la Gouverneure générale du Canada.




Il ne doit pas être facile en effet de visiter Gorée.



Au moment où j’écris cette petite chronique, j’écoute justement un CD qui a obtenu le label de jazz « blue note » : il s’agit du très grand saxo noir Ike Quebec ‘Blue and sentimental Ike Quebec’. La musique que j’entends est exceptionnelle, non seulement parce qu’Ike Quebec est considéré comme l’un des précurseurs du be-bop (son thème « Mop Mop » date de 1941-42) aux côtés de Dizzie Gillespie et Wes Clark, mais parce que les notes swinguent, un vrai baume au cœur.



L’époustouflant Miles Davis, le fabuleux Nat King Cole, l’incroyable Charlie Parker, l’immense Count Basie, l’étonnant Charles Mingus, l’extraordinaire John Coltrane, la si belle Billie Holiday et le si monumental Modern Jazz Quartet… Depuis mon enfance, ces musiciens noirs m’ont régénéré et, par tous les états de la musique, j’ai senti le blues couler dans mes veines, j’ai entendu les cadences syncopées, les rythmes enflammés, j’ai vu couleurs et sons, j’ai arpenté Harlem et j’ai espéré la libération de tous les esclaves africains ou des noirs américains, si souvent mis au ban parce que noirs.



Je peux comprendre alors ce que Michaëlle Jean ressent et je peux imaginer la tristesse et les larmes qui ont coulé sur ses joues. Des siècles durant, de Gorée et d’ailleurs, des hommes ont enchaîné, battu, humilié, torturé, affamé, assassiné d’autres hommes. Prenant les hommes pour du bétail, ils les ont asservi. Lorsque je pense à cela, j’ai honte. Mais, la musique d’Ike Quebec me donne du courage. Parce que j’écris ta couleur sur mon cœur, parce que j’écris ton nom car j’aime tes sons ; parce que tu es la plus belle des couleurs, je te remercie arrière-arrière petits fils d’esclave de me rappeler que le jazz nous libère.



Marc Knobel
Photo : D.R.