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Publié le 7 Juillet 2011

Tunisie : vers l'interdiction de toute normalisation avec Israël, par Jean Corcos

Ce texte est publié dans la rubrique Libres Tribunes réservée aux membres de l'AG ou aux amis du CRIF. Les auteurs expriment ici leurs propres positions, qui peuvent être différentes de celles du CRIF.



C'est une nouvelle assez lamentable que nous apprend une dépêche AFP en date du samedi 2 juillet 2011. Extrait : "La commission de réforme politique tunisienne a annoncé vendredi 1er juillet l'adoption à la majorité d'un "pacte républicain" visant à servir de socle à la future constitution, qui stipule notamment le refus de toute forme de normalisation avec Israël.
Le président de cette commission, Yadh Ben Achour, s'est contenté lors d'une conférence d'annoncer l'adoption de ce pacte sans donner des précisions sur son contenu.
Mais la presse arabophone a publié le contenu de ce pacte qui définit la Tunisie comme un pays démocratique et libre, sa langue est l'arabe et sa religion est l'Islam.
Ce pacte qui doit servir de socle pour la nouvelle constitution tunisienne refuse catégoriquement "toute forme de normalisation avec l'Etat sioniste" et soutient la question palestinienne."
Essayant d'en savoir un peu plus auprès de contacts tunisiens, ce que j'ai appris est plutôt inquiétant - même si l'on doit demeurer prudent quant à l'application pratique d'une telle mesure.
Commençons par les éléments pas trop négatifs : le refus de toute normalisation avec Israël n'est pas (encore ?) écrit dans la nouvelle constitution, laquelle sera rédigée par une assemblée constituante qui n'est pas encore élue. Là-dessus, on notera que l'on n'a jamais vu une constitution d'un état démocratique - ce que devrait devenir la Tunisie nouvelle - stipulant ce que doit être la politique étrangère : par définition, la diplomatie évolue en fonction des intérêts nationaux et du contexte international ; or si cela était le cas, on aurait clairement une position "idéologique" qui interdirait toute inflexion !
Ce "pacte républicain" n'impose donc pas d'obligation, mais il a une "valeur morale", en ce sens qu'il engage l'ensemble des partis politiques travaillant à la future constitution : or il semble bien que les directions de tous les partis, laïcs comme islamistes, aient soutenu ce passage refusant toute normalisation avec Israël ; seules des personnalités indépendantes s'y seraient opposées, arguant que l'on "ne pouvait pas être plus royaliste que le roi" - en l'occurrence les Palestiniens qui finiront par négocier un accord de paix. Une approche plus prudente, "attentiste", était donc possible mais les dirigeants politiques en ont décidé autrement pour différentes raisons qu'il conviendra d'analyser en détails plus tard : profonde hostilité de la majorité de la population envers un état juif diabolisé depuis des décennies par les médias nationaux ; rancœur envers le président déchu Ben Ali, qui avait promu une très discrète normalisation entre 1996 et 2000 ; et sans doutes aussi peur des islamistes, qui font monter la pression sur toute la société tunisienne ...
Mais justement, et parce que ce "pacte républicain" ne stipule rien de précis, il peut réserver le pire dès lors qu'il sera compris comme une carte blanche à toutes les chasses aux sorcières : je pense aux universitaires tunisiens à qui l'on peut interdire tout contact avec leurs homologues israéliens dans des congrès internationaux ; je pense naturellement aux journalistes de Tunisie dont on nous chante partout la liberté retrouvée, mais qui n'auront pas le droit de fouler le sol israélien pour y faire des reportages ; je pense également aux sportifs et professionnels dans tous les domaines, surveillés comme dans un pays totalitaire ; et puis, "last but not least", le pire est aussi imaginable quand il s'agira des voyages touristiques : je me souviens d'être allé dans mon pays natal avec un passeport recouvert de tampons israéliens, or cela était interdit sous Bourguiba et on risque de le revivre ; et ceci bannira, naturellement, les milliers de touristes israéliens qui venaient chaque année dans le pays !
Quelques mots de commentaires, enfin, sur les conséquences de ce "pacte républicain" :
1) On aurait cru que la démocratie aurait permis à toutes les sensibilités de s'exprimer : or avec ce genre de décision, on va diaboliser la minorité de Tunisiens qui souhaitent une normalisation des relations avec Israël. Alors qu'il aurait été possible, sans faire de vagues, de poursuivre la prudente position de la diplomatie récente du pays, les nouveaux dirigeants imposent une ligne très dure, renvoyant à un passé que l'on espérait révolu.
‎2) En lisant l'article, il y a pire encore : Israël n'est même pas appelé par son nom, il est question d'un "état sioniste" : la Tunisie, pays moderne à une heure d'avion de la France, s'exprimant comme le Hamas et le Hezbollah ... on ne peut que trouver cela lamentable, et bien décevant pour un pays dont avait tant vanté la révolution "de jasmin" !
‎3) Par cette décision, les Tunisiens infligent également une gifle à tout le peuple juif, à commencer par leurs anciens compatriotes originaires de ce pays et qui lui sont restés si affectivement attachés : faut-il leur rappeler que le droit à l'existence d'Israël est une "ligne rouge" pour 99 % des Juifs du Monde, quelles que soient nos appréciations sur tel ou tel gouvernement de Jérusalem ? Leur ressentiment contribuera à faire fuir ce tourisme particulier, et qui venait souvent à l'occasion de pèlerinages
4) Enfin, en agissant ainsi, la Tunisie nouvelle se ridiculise face à la communauté internationale : toutes les résolutions (de l'ONU comme du Quartet) prévoient la sauvegarde de l'existence de l'état d'Israël, qui est par ailleurs une puissance économique, financière et technologique pesant de plus en plus dans le Monde. Ce sont les dirigeants tunisiens qui risquent d'isoler leur pays en surveillant les contacts de leurs ressortissants, alors que l'impact de leur décision sera quasi nul sur un Israël en relations avec toutes les grandes nations du Monde.
Photo (Yadh Ben Achour) : D.R.