Tribune
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Publié le 8 Septembre 2008

Un président très diplomate pour le Conseil des droits de l’homme

Carole Vann et Michel Bührer de La Tribune des droits humains (8 septembre 2008) ont rencontré Martin Ihoeghian Uhomoibhi, 54 ans, ambassadeur du Nigeria à Genève, qui préside dès ce lundi 8 septembre 2008 sa première session du Conseil des droits de l’homme (9ème session du CDH du 8 au 26 septembre à Genève). « D’un abord chaleureux et ouvert, Ihoeghian Uhomoibhi a le ton volontiers pastoral et le message parfois moralisateur. En bon diplomate, il a poli un discours rassembleur qui va rapidement devoir se frotter à la pratique », estime La Tribune des droits humains.


Interview :
Le Conseil des droits de l’homme continue à fonctionner selon les mêmes divisions entre les blocs (islamiques, occidentaux, latinos, africains…) que l’ancienne Commission. Qu’en pensez-vous ?
L’existence des blocs est inévitable. Nous devons veiller à ce qu’ils ne travaillent pas de manière antagoniste mais dans l’harmonie et la paix afin de veiller aux droits humains dans le monde. Nous ne pouvons pas y parvenir dans une atmosphère hostile. Nous devons construire sur la confiance et le respect mutuel. C’est le défi qui m’attend en tant que président. Je dois tout faire pour établir un consensus. Je vais travailler de manière transversale avec les Etats.
L’année passée, le bloc africain s’est lézardé à propos du Darfour. Certains pays sont sortis des rangs pour critiquer le Soudan. Ils ont pris des risques. Ce système des blocs ne prétérite-t-il pas les plus vulnérables ?
Ces blocs se sont constitués sur une base volontaire. Parfois, c’est à votre avantage, parfois pas. Beaucoup d’Etats africains n’ont même pas les moyens d’avoir une mission à Genève. D’autres sont parfois représentés par une, deux ou trois personnes seulement. Ces diplomates ne peuvent suivre à la fois les réunions de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), du HCR (Haut-Commissariat pour les réfugiés) ou de l’OMPI (Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle). C’est alors le groupe qui s’exprime en leur nom. Mais parfois, ça ne marche pas au mieux.
Beaucoup de pays africains et asiatiques aimeraient supprimer les rapporteurs spéciaux par pays, sous prétexte que cela ferait double emploi avec le nouvel outil de l’ONU, l’examen périodique universel. Qu’en pensez-vous ?
Vous parlez de beaucoup d’Etats, je ne le pense pas. Les rapporteurs spéciaux ont un rôle capital. Nous devons les appuyer. Mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un processus intergouvernemental. Les rapporteurs doivent se montrer crédibles et doivent travailler avec les gouvernements.
Votre pays affiche un triste bilan en matière des droits de l’homme : corruption généralisée, élections biaisées, torture, etc. Quand vous avez été élu à la présidence du Conseil, vous avez dit : « Les Etats ont sans conteste la responsabilité première de protéger et promouvoir les droits humains… » C’est une critique sans détour envers votre gouvernement…
Restons humble et modeste. Je ne sais pas quelles sont vos sources. Mais j’apprécierais que vous ayez l’humilité d’écouter ce que j’ai à dire à propos de mon pays.
Le Nigeria fait face à des défis en matière de droits humains, comme n’importe quel pays, y compris le vôtre. Nous travaillons dur pour améliorer les choses. J’attends qu’on ne nous juge pas du haut d’un piédestal moral. De plus, le fait que mon pays ait à s’améliorer ne signifie pas que je n’ai pas le droit de m’exprimer au Conseil des droits de l’homme, et j’espère que ce n’est pas ce que vous voulez dire.
Les pays islamiques ont mis l’islamophobie à leur ordre du jour depuis des mois. D’autres pays insistent sur le fait que ce sont les droits des individus qu’il faut défendre et non les religions. Quelle est votre position ?
Les Etats sont souverains. Ils ont le droit de dire ce qu’ils veulent. De même que vous, en tant qu’humain, avez le droit d’exprimer vos idées. Au Conseil de mettre ensemble tous les points de vue divergents, qu’ils soient islamiques ou non, pour essayer de construire une famille humaine, globale.
Mais, selon vous, le Conseil des droits de l’homme est-il censé défendre des religions ou des individus ?
Il n’y a pas de sujet tabou au sein du Conseil. Tout ce qui touche aux droits de l’homme doit pouvoir être discuté en toute liberté. Mais certains croient que le fait de parler d’un sujet les autorise à abuser des autres. Les débats doivent se dérouler dans le respect mutuel.
La Conférence de Durban sur le racisme a été comparée à un forum anti-israélien. Or le Conseil est responsable du suivi de Durban, qui aura lieu en 2009 à Genève. Comment ferez-vous pour éviter les mêmes dérapages ?
Vous venez d’émettre des critiques sur la conférence de Durban. Cela n’exclut pourtant pas les aspects positifs : le racisme, la xénophobie, l’intolérance, la discrimination, l’esclavage y ont aussi été traités. Il ne faut donc pas voir les choses à partir d’un seul point de vue. Ne soyons pas si sélectifs, cherchons la liberté de discussion. Ce n’est pas parce qu’un Etat ou une personne se sent offensé qu’il ne faut pas discuter de certaines questions.
Un accord tacite au sein de l’ONU veut qu’un diplomate n’occupe pas deux postes à responsabilité en même temps. Or vous êtes aussi président de l’Assemblée générale de l’OMPI…
Une règle non écrite n’est pas une règle. D’autre part, je précise que je suis arrivé à ces fonctions par un processus démocratique et que ces postes ne sont pas rémunérées. Donc je ne touche pas deux salaires (rires). J’espère, par la grâce de Dieu, que je saurai honorer mes deux fonctions.