Tribune
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Publié le 2 Septembre 2010

Une pétition peut-elle sauver une vie ? par Bernard-Henri Levy

C’est la question que se sont posée, il y a quinze jours maintenant, les initiateurs de l’appel « Il faut empêcher la lapidation de Sakineh ».




Et c’est la question que se posent, depuis, les dizaines de milliers de femmes et d’hommes qui, tous les jours, toutes les heures, certains jours au rythme d’une signature toutes les secondes, ont rejoint ce premier appel.



Alors personne n’a, hélas, la réponse à cette effroyable question.



Et rien ne dit que, dans les jours qui viennent, demain peut-être, l’atroce verdict ne sera pas appliqué et le beau visage de Sakineh Mohammadi Ashtiani réduit à la même bouillie que celui de ces deux amants qui, le 16 août dernier, près de Kunduz, en Afghanistan, ont bel et bien été lapidés à mort.



Mais, au fond de moi, je ne le crois pas.



Je crois, je veux croire, que la campagne de mobilisation engagée par Libération, Elle et La Règle du Jeu, peut finir par l’emporter.



Et cela pour, au moins, trois raisons.



D’abord parce que, comme l’a bien dit l’une des toutes premières à avoir répondu à notre invitation à adresser, chaque jour, une « Lettre à Sakineh » (Charlotte Gainsbourg), nous avons la chance de vivre dans un pays où le dernier mot revient à ce maître absolu qu’est l’Opinion : que près de 50 000 hommes et femmes (le nombre de ceux qui, à, l’heure où j’écris, ont déjà signé) opinent que la lapidation est un crime d’une insondable ignominie, que nous soyons unanimes (par delà les attaches, les croyances ou les non croyances de chacun) à répondre par la lettre de nos noms aux pierres de l’obscurantisme et du crime – et les maîtres en second, c’est-à-dire les gouvernants, sont fondés à intervenir et à suivre ; est-ce un hasard si le premier pays à s’être fermement engagé, par la voix de Nicolas Sarkozy, pour la cause de la jeune femme, est celui d’où la pétition est partie ?



Ensuite parce qu’aussi implacables que soient les dictatures, aussi sans scrupules, sans âme ni vertu, que soient leurs autorités, elles ne sont jamais complètement autistes et que, dans le bras de fer qu’elles engagent avec le monde des démocraties et qui est comme leur seconde nature, elles sont attentives à tous les signes : qu’un pays comme la France prenne aussi fortement position, qu’il déclare, par la bouche de son Président, que la jeune femme menacée de lapidation est sous sa « responsabilité », qu’il en fasse une question d’humanité, de principe et d’honneur – et le régime de Téhéran ne peut, d’une manière ou d’une autre, qu’en tenir compte ; nous avons, à la Règle du Jeu, à travers le réseau de blogueurs et de sites iraniens auquel nous sommes connectés, des indications qui semblent dire la montée en puissance, au sein même de l’appareil judiciaire, d’un courant estimant que le prix à payer pour cette mise à mort, en pleine agora du village planétaire, d’une femme dont le seul crime est d’être peut-être tombée amoureuse serait, pour le régime, exorbitant et trop risqué.



Et puis enfin parce que, sur la scène à haute tension qu’est la scène de la question iranienne, sur ce théâtre mondial où s’affrontent les amis de la démocratie et les partisans d’une mollarchie demain nucléarisée, il y a un troisième acteur qui joue et jouera un rôle de plus en plus décisif : cet acteur c’est la société civile iranienne en lutte, elle-même, avec son Etat et pour la défense de la culture et des valeurs de la grande civilisation perse – et le fait est qu’avec cette pétition, avec cet appel en faveur d’une femme dont le nom était, hier encore, inconnu et que le monde entier, désormais, appelle par son prénom, avec cet acte de reconnaissance d’un visage qui est devenu, en quelques semaines, une véritable icône planétaire, s’impose le premier signe de solidarité concrète qui ait été adressé à cette société civile depuis que, voici un peu plus d’un an, son vote lui a été volé ; raison supplémentaire pour laquelle Ahmadinejad et les siens ne peuvent demeurer sourds à l’appel qui leur est adressé.



Alors rien ne dit, je le répète, que nous ne nous réveillerons pas, demain, avec la terrible nouvelle de la mise à mort de la jeune femme.



Et les dernières informations qui me parviennent d’Iran ne sont, à cet égard, pas toutes encourageantes : si le pouvoir, face à la vague d’indignation planétaire, a officiellement « suspendu » l’exécution de la sentence, il semble aussi 1. Que le dossier de Sakineh, sous scellés, ait été rouvert en fin de semaine (ce qui, dans un Etat de droit, serait peut-être bon signe mais qui, à Téhéran, paraît plutôt indiquer que l’on s’apprête à y ajouter des charges) ; 2. Que son fils de 22 ans, Sajad, n’ait plus le moindre contact avec elle (ce qui, pour le coup, est évidemment mauvais signe) ; 3. Qu’un responsable de la prison de Tabriz soit venu, samedi soir, 28 août, lui annoncer qu’il fallait se préparer à mourir et qu’il était temps d’exprimer ses dernières volontés (et, là, cela glace les sangs).



Mais justement.



Raison de plus pour continuer, encore et encore, d’implorer la clémence des juges.



Et raison de plus pour, face à ce qui peut très bien n’être, aussi, qu’une façon d’intimider et de semer l’effroi, poursuivre la mobilisation des consciences.



Pour peu que d’autres pays rejoignent très vite la France (l’Italie ? l’Allemagne ? les Etats-Unis ?), pour peu que d’autres voix relaient à leur tour notre appel (les intellectuels musulmans du monde arabe ? d’Europe ?), pour peu, enfin, que nous soyons toujours plus nombreux, chaque jour, à signer l’appel contre le fanatisme et pour la grâce, alors je crois, oui, qu’une pétition aura pu sauver une vie.



Article publié sur laregledujeu.org, le 1er septembre 2010



Photo (Sakineh sans voile) : D.R.