Tribune
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Publié le 10 Octobre 2006

Vive critique de la conduite du Hezbollah par le mufti chiite libanais de Tyre

Nous publions ci-joint des extraits d’une dépêche du MEMRI, n° 1295. Il s’agit de deux interviews du mufti chiite de Tyre, le cheikh Ali Al-Amin, diffusés sur LBC le 26 août 2006 et le 5 septembre 2006.


· Le 26 août 2006
Cheikh Ali Al-Amin : S'agissant de la victoire [du Hezbollah], comme on l'a appelée… Ce n'était pas une si grande victoire, à mon avis… Je ne tiens pas à entamer une controverse sur la signification du mot "victoire", mais je pose la question : étions-nous avant le 12 juillet dans un état de défaite tel qu'il nous fallait une victoire "grandiose" et "stratégique" ?
Interviewer : Que des bannières de Hassan Nasrallah soient brandies dans les rues des villes arabes, et à l'université Al-Ahzar [sunnite], n'est-ce pas une victoire du Hezbollah ?
Cheikh Ali Al-Amin : En arabe, nous avons un langage de vérité et un langage métaphorique. C'est peut-être une victoire au sens figuré, une victoire morale. Ce n'est pas entièrement impossible. Mais si l'expression "victoire stratégique" fait référence à notre bombardement de Haïfa… Saddam Hussein a attaqué Tel-Aviv avec des missiles Scud. Etait-ce aussi une victoire stratégique ? Nous n'étions pas en situation de défaite avant le 12 juillet. Nous gagnions, nous avions accompli quelque chose de grand, et nous aurions du persévérer.
Interviewer : De quel accomplissement parlez-vous ?
Cheikh Ali Al-Amin : De la réussite de l'an 2000. Avant le 12 juillet, on pouvait encore parler de réussite. Et [le Hezbollah] avait la possibilité d'être incorporé à l'Etat, plutôt que d'imposer une guerre pareille.
Interviewer : Mais le problème des Fermes de Chebaa demeure ; cela a toujours été un prétexte à la poursuite des opérations de résistance, et même à la capture de soldats israéliens.
Le cheikh Ali Al-Amin : Mais maintenant, après le 12 juillet, ils ont admis que le problème des Fermes de Chebaa pourrait être résolu par des moyens diplomatiques, via les Nations unies. Cela aurait pu se faire avant le 12 juillet.
(…)
Les gens ne sont pas simples et naïfs au point d'oublier, avec l'argent [du Hezbollah], leurs blessures, leurs tragédies et les êtres chers qu'ils ont perdus. Ce n'est pas raisonnable [de croire une chose pareille]. La vie doit continuer. Comment oublier pareille douleur, et toute la souffrance des déplacements endurés ? Cet [argent] n'est rien, comparé à ce que les gens ont perdu.
Interviewer : Mais le Hezbollah dit que la résistance défend l'honneur du peuple. Nous avons entendu plusieurs personnes dire que les actions de la résistance ont en effet servi à défendre l'honneur des Libanais.
Cheikh Ali Al-Amin : Pendant la guerre ou par l'argent octroyé ?
Interviewer : Pendant la guerre, avec les opérations de la résistance, la capture des deux soldats, la résistance contre Israël et en administrant une leçon à Israël (…) La quatrième armée la plus forte au monde… Par la guérilla, elle a réussi à leur donner une bonne leçon.
Cheikh Ali Al-Amin : Evitons le sujet de l'honneur. Quel honneur y a-t-il à dormir dans des écoles ou dans la rue ? Avec toute cette douleur et ce chagrin… Quel honneur y a-t-il à vivre de la sorte ?
· Le 5 septembre 2006
Cheikh Ali Al-Amin : Nous ne pouvons pas prétendre que l'ennemi a été vaincu. L'ennemi n'a pas non plus atteint tous ses objectifs, mais on ne peut pas comparer notre douleur à la sienne. Notre douleur est grande… alors que la douleur causée à l'ennemi… C'est incomparable… Certains disent : si vous souffrez, dites-vous bien qu'ils souffrent autant que vous. Non, nous avons souffert davantage. Les dégâts causés chez nous sont plus importants que ceux endurés par l'ennemi. Nous avons perdu plus de vies que l'ennemi, même si je ne pense pas que le but de la guerre soit de faire des morts. Une guerre devrait avoir des objectifs plus ambitieux.
(…)
Israël est un pays prêt à affronter toutes les armées arabes réunies. Nous n'avons pas à avoir honte de ne pas l'avoir vaincu. Nous l'avons affronté avec détermination, mais nous ne l'avons pas vaincu. Il n'y a pas de honte à cela.
(…)
En Islam, on prépare [une guerre] pour la gagner et non pour pouvoir dire : il a été courageux, il s'est battu et puis il s'est fait tuer. Vous entendez des gens dire : il est allé dans le champ de bataille, s'est battu héroïquement et a trouvé le martyre. Est-ce là véritablement notre but ?
(…)
Je ne comprends pas comment qui que ce soit peut affirmer qu'un côté a été vaincu s'il n'a pas eu de morts ni de dégâts, et que l'autre côté a gagné, avec tous ces dégâts et ces vies perdues. Comment peut-on parler de défaite dans un cas et de victoire dans l'autre ?
(…)
Je ne peux pas dire à mon ennemi : je veux vous affronter seulement en tel et tel lieu, et vous n'avez le droit de m'attaquer nulle part ailleurs. Je compte capturer l'un de vos soldats afin que vous essayiez de capturer l'un des miens en échange – mais vous n'avez pas le droit de bombarder mes infrastructures et mes usines. Telle n'est pas la logique de la guerre.
(…)
Il ne fait aucun doute que le Hezbollah entretient des relations tout à fait spéciales avec l'Iran.
Interviewer : Le Hezbollah ou les chiites ?
Cheikh Ali Al-Amin : Non, pas les chiites. Les chiites ne sont pas comme ça. Nous, chiites, sommes liés à notre patrie. Les relations que nous entretenons avec l'Iran et l'Irak sont d'ordre religieux et culturel. Ce sont des relations qui ne datent pas d'hier.
Interviewer : Comme les relations des chrétiens, ou des catholiques avec le Vatican…
Cheikh Ali Al-Amin : Oui, ou comme les relations des chrétiens du Liban avec la France, ou les relations des sunnites [libanais] avec l'Egypte ou l'Arabie Saoudite. Ce sont des relations culturelles, qui mènent à l'échange culturel et au respect mutuel. Quant aux relations politiques, elles sont pour ma patrie. C'est avec vous que j'ai des relations, non avec ceux qui se trouvent au loin. Quel bénéfice est-ce que je tire de ces paradis éloignés, le paradis de Téhéran, de Paris, de Washington ? La seule chose qui compte pour moi est de transformer mon pays en paradis.
[…]
Les relations religieuses avec l'Iran sont d'ordre culturel. En aucun cas les relations religieuses ne doivent faire oublier la patrie.