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Inaccoutumé, ce commentaire du Journal du Dimanche (18 mai) sur le témoignage d’une rescapée des attentats de Casablanca : « Ce qu’elle raconte de la suite pourrait sortir de la bouche d’une Israélienne de Jérusalem, d’une Américaine présente à Riyad lundi dernier, ou encore d’une passante kenyane à Nairobi en 1998. Les victimes d’actes terroristes forment en effet une sorte d’internationale de la douleur où l’on est admis quand on a eu, comme Sabah Mazouzi, ‘un aperçu de l’enfer’ ». On n’avait alors pas encore connaissance des attentats de Hébron et Jérusalem. Le journaliste, Hadrien GOSSET-BERNHEIM s’étonne de la bombe dans le vieux cimetière juif : « Pour tuer les morts une seconde fois ? ». Si l’on en croit le journal marocain L’opinion, il s’agirait d’une erreur de cible. Confondre un cimetière et un bâtiment officiel ? Le président de la communauté juive marocaine a lui son interprétation : « C’est un symbole qui est visé, celui d’un Maroc tolérant et ouvert ». Pour Antoine SFEIR, c’est le roi même qui est visé « d’autant qu’il essaie, comme son père ces trente dernières années de ramener les juifs marocains au pays ».
« Dans les sections du PS, on critique Ariel Sharon et parfois très durement, mais ce n’est pas le PC où les militants sont incroyablement virulents sur ces questions. Des tabous sont tombés. Le conflit du Proche-Orient sert de cache-sexe à un nouvel antisémitisme. Au nom des exactions d’Israël, on peut désormais se permettre de médire des Juifs de France. Ceux-ci n’auraient pas le droit de parler du Moyen-Orient car ils ne seraient plus objectifs. (…) Il existe un antisémitisme de banlieue qui a fusionné avec l’antisémitisme BCBG. Dans les conversations en ville, il est de bon ton de dire que les juifs en font trop, qu’ils sont toujours solidaires entre eux. (…) Le choix de la direction palestinienne qui après avoir opposé une fin de non recevoir à des concessions sans précédent de Barak n’a rien fait pour empêcher cette violence ne pouvait conduire qu’à l’horreur. (…) L’extrême gauche porte une lourde responsabilité dans la montée de cette forme d’antisionisme. Sur le Proche-Orient, elle a commis la même erreur qu’au Cambodge ». Qui s’exprime ainsi ? Un de ces « ultra-pro-israéliens « du CRIF ? Non, c’est le député socialiste Julien DRAY interrogé dans le Figaro de samedi 17 par Elisabeth LEVY.
« Le risque de la banalisation du génocide des juifs et des Tziganes est plus grand que celui de sa négation. Cette banalisation est en cours, a-t-elle dit, et elle est "retournée contre Israël, accusé, de façon scandaleuse, de crimes contre l'humanité". Quant à l'antisémitisme en France, elle a souligné que, dans sa version actuelle, il ne vient pas de l'extrême droite, mais de la "dérive haineuse d'un antisionisme militant pratiqué par des groupuscules d'extrême gauche", et dans lequel le "mal-être de jeunes issus de l'immigration" a trouvé à se refléter ». Cette fois, c’est Simone Veil qui s’exprime (le Monde daté du 17 mai). Tous deux rejoignent François ZIMERAY (Figaro, 10 mai) et Bernard Henri LEVY (Le Point 16 mai) qui posent la question « Est-il permis de défendre l'Etat juif ? ».
Comme en écho, cet extrait du bulletin municipal « Ivry ma ville » du mois de mai qui sous le titre « Printemps palestinien » fait la promotion d’un « Cd de solidarité avec la culture palestinienne » : « Conscience et Culture refait fort sans fard en mêlant l’occitan à Gaza, le classique-jazz aux faubourg de Ramallah et le reggae ivryen aux venelles ravagées de Jénine et Hébron ». Dans le même bulletin, outre un autre article consacré à un jeune palestinien soigné en France avec les fonds du parti communiste d’Ivry, on parle de l’exposition de travaux réalisés par les enfants des écoles à l’initiative du MRAP sur le thème de la paix … On frémit. Exposition en même temps à l’Hôtel de Ville d’une exposition sur le Conseil national de la Résistance et sur l’insurrection du Ghetto de Varsovie !
En écho aussi, cette violence verbale à la limite de l’antisémitisme qui s’exprime dans un forum du Monde intitulé « Proche Orient, la feuille de route », sans que le médiateur daigne intervenir. Voici quelques morceaux choisis (sans correction des fautes) : « Il semble que Milouin [le seul défenseur d’Israël sur le forum] utilise l'espace pour faire des passes. A moins que ce ne soit cette sâle manie de l'occupation. Il y a aussi à Hébron des juifs américains qui se relaient pour occuper des maisons, un à trois mois chacun juste, pour dire que ça appartient aux juifs. » A quoi un autre répond : « Ah ben voilà, on reconnaît bien la méthode. C'est exactement la même chose. Et pour pas cher, tout ça. Un investissement minimal, quoi. ». Sur le même thème, un message intitulé « continuité de la politique juive » : « si Israël a bien été fondé en 1948 par un coup d'Etat contre la puissance mandataire, il ne faut pas oublier que depuis la fin de la première guerre mondiale, la Palestine avait été constituée, par cette puissance mandataire, comme un Etat Juif de fait, Etat englobant toute la Palestine avec ses différentes communautés censées cohabiter harmonieusement tout en favorisant l'immigration juive. ». Ou cet autre : « Israel est une démocratie raciste et criminelle. Cette politique raciste et criminelle a été choisie par le peuple israélien qui a voté pour cela encore en janvier dernier et a renouvellé son attachement à cette politique. En général dans les dictatures ce n'est pas le peuple qui décide. Vous sentez la différence? ».
De Jénine, il a été question sur France 2 au cours de l’émission « Campus », jeudi 8 mai. Le thème : « journalistes de guerre », le débat dévie sur les journalistes dans le conflit israélo-palestinien. Renaud Girard du Figaro parle du danger de tomber dans le manichéisme, « avant, il y avait le bel Israël contre les méchants arabes, aujourd’hui les méchants israéliens contre les bonnes victimes arabes, Non, les choses sont plus compliquées. A Jénine, il n’y a pas eu de massacre ». Bernard Henri Lévy reprend : « Une folie s’est emparée de la presse française, on a entendu des commentaires d’une hyperbolie extraordinaire. Il y a eu une bataille avec 60 ou 70 morts d’un côté, 30 ou 35 de l’autre ». Mais Frédéric Helbert tient à son massacre : « La ville est massacrée, c’était du jamais vu depuis ‘ground zero’ ; un massacre ne se mesure pas au nombre de morts. La vie est massacrée ». Et Bernard Henri Lévy de répliquer : « C’était une bataille de rue entre deux armées, une bataille de rues fait toujours des dégâts ». Une autre réponse est venue dans le deuxième plateau (consacré à la « critique d’Israël »), de Jean Hatzfeld : « d’abord, les journalistes se concentrent sur les territoires occupés, ce qui fausse leur vision des choses. Ils ne voient pas Israël où les Israéliens vivent, la peur, l’angoisse, les questions qu’ils peuvent se poser par rapport à la menace vraie ou fausse du monde arabe. Deuxièmement, et ça c’est une critique qu’on peut faire aux jeunes journalistes qui vont maintenant en Israël, c’est qu’ils oublient l’histoire récente qui est faite de rendez-vous ratés, de promesses non tenues, de doubles-discours, et qui pèsent sur la politique israélienne ». Le même Frédéric Helbert, invité quelques jours plus tard sur le plateau de « C dans l’air » (France 5) commente ainsi la prise de Bagdad : « je n’ai jamais vu un tel niveau de destruction de tous les conflits que j’ai couvert »….
Télérama du 30 avril présente ainsi le film de Claude Chabrol, « Les fantômes du chapelier », proposé par Arte : « Une petite ville bretonne est secouée par des crimes. Un tailleur juif soupçonne son voisin, un inquiétant chapelier ». Sur la page suivante, le tailleur est, conformément au film, redevenu arménien. Simple lapsus. Mais révélateur d’un stéréotype banal. Peut-on prononcer le mot « tailleur » sans que le mot « juif » vienne automatiquement sur les lèvres ? Aujourd’hui, c’est le mot « extrémiste » qui est naturellement accolé au mot « Juif ».
Le même Télérama publie d’ailleurs la semaine suivante un article intitulé « La guerre par correspondance. Douze personnalités défendant la cause palestinienne menacées de mort par courrier ». L’affaire date du début mars et avait alors déjà été largement médiatisée par Eyal Sivan. On peut donc s’étonner que le journal éprouve le besoin urgent de reparler d’un fait qui n’est pas d’actualité. Parmi les plaignants, le journal cite Isabelle Courtant-Peyre, avocate du terroriste Carlos (et accessoirement, ce que ne dit pas Télérama, son épouse mais aussi directrice de la rédaction de la Revue « A contre-nuit » de Roger Garaudy). Qui se ressemble s’assemble, cette dame ayant été accusée de diffamation envers les forces de police dans le cadre du procès Chalabi, une pétition pour la soutenir avait été lancée par … Ginette Skandrani, membre fondateur des Verts, prise à plusieurs reprises en flagrant délit de collusion avec le négationniste Mohamed Latrèche et qui si on en croit Proche-Orient.info sera prochainement exclue de son parti. « Ces envois n’ont pas été revendiqués » précise Monique Chemillier-Gendreau, autre plaignante de la même mouvance « Mais on peut facilement imaginer qui en est à l’origine ». Eyal Sivan, n’hésite pas à accuser : « quand un gosse se fait traiter de sale juif, ce qui est une catastrophe, on en fait toute une histoire. En revanche, quand douze personnes reçoivent des menaces de mort par des ultrasionistes, il semble qu’on estime que ce n’est pas grave ». Le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme faisant état de 193 actions violentes à cible juive (62% du total) et 731 menaces (74% de celles enregistrées) n’a pas été relayé par Télérama.
Pourquoi aussi cet article du Monde « Le "mur de séparation" en Cisjordanie désespère villageois et pacifistes » publié le jour même où Xavier Solana traversait Israël sans rencontrer aucun Israélien afin de remettre Yasser Arafat dans le jeu. Le journal n’a pas entendu ces propos du Président de l’Autorité Palestinienne, pourtant insérés dans la dépêche AFP et cités par Libération, qui grèvent toute négociation que pourrait tenter Abou Mazen : «Il n'y aura pas de paix avant le retrait total d'Israël des territoires palestiniens et arabes jusqu'à la ligne de cessez-le-feu de juin 1967». Le 7 mai, le même journal titrait « Israël réprime violemment l'activisme des pacifistes internationaux ». Ce n’est que vers le milieu de l’article qu’on apprend que les kamikazes britanniques qui ont commis le dernier attentat en Israël étaient entrés comme militants « pacifistes » et avaient été en en rapport avec une organisation prétendument pacifiste, mais en fait très radicale, ISM (International Solidarity Mouvement), dont les agissement violents sont loin d’être approuvés par les autres associations présentes dans les territoires. Deux « pacifistes » français ont d’ailleurs été interpellés et expulsés sans que cela suscite de commentaires.
Naïveté ou ignorance ? Dans son dernier éditorial (Nouvel Observateur, semaine du jeudi 15 mai), Jean DANIEL s’interroge sur l’interdiction du voile islamique. Il fait allusion à « l’appel de mai » du Mouvement des Musulmans Laïcs de France « face à l’offensive des adeptes du foulard islamique ». Il ajoute : « Cela fait connaître au public qu’il existe un tel mouvement. En fait, il y en a plusieurs. Mais on l’ignore, car leurs animateurs ne figurent pas parmi les interlocuteurs de Nicolas Sarkozy. De la même façon, d’ailleurs, que l’on ignore qu’il existe au moins quatorze mouvements de juifs laïcs français qui ne se sentent pas représentés par le Crif. Ils viennent eux aussi de signer un appel intitulé «Une autre voix juive» ». Il fait ici référence à l’article publié dans Libération du 5 mai par deux éminents membres du CAPJPO et à une pétition qu’ils font circuler qui se présente comme rédigée par des personnes de divers courants politiques (sionistes ou non, religieux ou non) mais dont les propositions « de paix » sont celles des plus extrémistes des Palestiniens (Un état palestinien avec pour capitale Jérusalem et le droit au retour). Ces prétendus « pacifistes » prétendent encore contre toute évidence que les agresseurs des jeunes de l’Hashomer Hatzaïr auraient été provoqués par des membres du Bétar ! Jean DANIEL peut-il réellement ignorer que ces gens appartiennent à une mouvance dont la violence dans les propos comme dans les actes a été désavouée y compris par leurs alliés ? Peut-il aussi ignorer que le CRIF est une confédération qui unit des associations de toutes obédiences (associations de résistants et de déportés, associations cultuelles allant des loubavitchs aux libéraux, associations culturelles comme l’Alliance Israélite, le Cercle Bernard Lazare ou l’association pour un judaïsme humaniste et laïque, des mouvements de jeunes et de femmes, des groupements professionnels) dont plupart des associations laïques dont il fait état ? Peut-il ignorer que la frontière entre le CRIF et ses détracteurs ne passe pas par le radicalisme religieux ? Comparer le CRIF aux intégristes musulmans est malhonnête vis-à-vis des lecteurs du journal peu au courant des arcanes du judaïsme français. Comparer les courageux mouvements de musulmans laïcs aux extrémistes du CAPJPO est leur faire injure. Pour faire bonne mesure, il prétend en outre que le port de la kippa serait comme le voile une revendication politique. Il faudrait qu’il nous dise quand les Juifs ont revendiqué le port de la kippa à l’école publique, et quand celle-ci a été brandie comme « affirmation de différence collective et d’appartenance à une communauté extérieure à la nation ».
La laïcité et le voile occupent d’ailleurs une large place dans les quotidiens comme dans les hebdomadaires de ce début de mois. De tous les dossiers proposés, arrêtons nous sur ce constat alarmant d’Anna BITTON dans Marianne du 5-11 mai, à propos du collège Havez de Creil : « ‘On sent que le personnel est armé pour que l’affaire [du foulard] ne se reproduise plus’ analyse Saadia Berdouz, présidente locale de la FCPE, la seule association de parents d’élèves du collège. Elle même voilée, elle confie toutefois ‘espérer que la règle changera’. Avant de se reprendre vite… Mohamed Keskas, jeune Beur de 31 ans et professeur agrégé de sciences de la vie et de la Terre dans ce collège dont il fut jadis l’élève, pourrait n’être pas étranger au consensus actuel. (…) Le voilà désormais qui représente le Tabligh – mouvement extrémiste missionnaire – au sein du Conseil français du culte musulman. (…) ‘Le vrai drame de ce collège qui abrite 80% de musulmans, c’est un antisémitisme viscéral’ s’inquiète Omar Ba, qui est aussi responsable local de SOS racisme ». Une femme voilée – et espérant l’autorisation du voile - représentant la très laïque FCPE sans que cela ne dérange apparemment cette association, un professeur de SVT membre de l’un des groupes musulmans les plus extrêmes qui selon Xavier TERNISSIEN organise régulièrement des sorties vers le Pakistan (Le Monde du 26 septembre 2001) et serait peut-être un rabatteur du terrorisme (pour mémoire, Moussaoui, Beghal, Reid, Loiseau ont pour point commun d'être passés par le mouvement tabligh).
Le Canard enchaîné avait en son temps encensé « Rêver la Palestine » et fustigé le CRIF qui en relevait l’antisémitisme. Quelques semaines plus tard, quand est publié le rapport de la Commission Nationale des Droits de l’Homme confirmant que la majorité des actes de racisme en 2002 ont été des actes antisémites, le Canard préfère ignorer cette partie du rapport pour ne relever que celle qui concerne le racisme anti-arabe. Depuis trois semaines, l’hebdomadaire tire à boulets rouge contre Bernard Henri Lévy et son ouvrage « Qui a tué Daniel Pearl ». Il ne s’agit pas d’une critique constructive de son argumentation, non, simplement de médiocres attaques personnelles. Bien sûr on a le droit de ne pas aimer BHL, mais son ouvrage méritait mieux que ce dédain. En tout cas on cherche en vain dans les différents papiers une seule allusion au fait que l’une des causes de la mort du journaliste était son judaïsme. Fait paradoxal, l’édition du 30 avril s’intéresse à la « biographie inattendue » de Karl Marx par Francis WHEEN (Calmann-Lévy). Dans son compte-rendu, André ROLLIN cite complaisamment cette phrase de Bakounine : « Ce monde est actuellement, du moins en grande partie, à la disposition de Marx, d’une part, et des Rothschild, de l’autre. (…) La solidarité juive, cette solidarité puissante qui s’est maintenue à travers toute l’histoire, les a unis ».
L’édition du 14 mai de l’hebdomadaire satirique s’attaque au recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, qui incarnerait « plus l’Islam d’hier que celui d’aujourd’hui », dont la « dynastie ne fut pas trop dure au colonisateur français » et qui « nanti de ces heureuses dispositions aime tous les religieux et toutes les religions ou plutôt leurs hiérarques, du grand rabbin de France au dalaï-lama en passant par le Pape et Mgr Lustiger » (le Canard va-t-il nous inventer un gène de la « collaboration » ?). Suivent des critiques rapportées sans citer l’auteur autrement que par un sibyllin « une autorité pas du tout extrémiste de la communauté ». Dans ces élucubrations, on passera sur le grand rabbin désigné comme « hiérarque » au même titre que le Pape - ce qui ferait dresser les cheveux sur la tête de quiconque connaît un tant soit peu le judaïsme – pour en venir aux références : le journaliste parle bien de deux ouvrages d’entretiens que le recteur a « commis » récemment, mais n’en cite qu’un seul en note : « Non l’Islam n’est pas une politique » avec Virginie Malabar, passant sous silence cet « Appel au dialogue » co-signé avec Bernard Kanovitch, professeur de médecine, mais aussi représentant du CRIF dans les relations avec les musulmans. Qu’a donc de gênant cette relation ?
Hypermédiatisés aussi les dérapages racistes de Brigitte Bardot, au risque de lui faire de la publicité. Comme le dit Thomas VALLIERES dans Marianne du 19 mai, cela valait-il autre chose que du mépris? Au même titre que certaine publication largement médiatisée et dont nous ne parlerons pas ici qui sous prétexte de droit de critiquer Israël se livre au jeu des attaques personnelles voire diffamatoires.
Anne Lifshitz-Krams