Tribune
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Publié le 7 Janvier 2013

Amis grecs, cessez de vous indigner, réfléchissez plutôt

Par Dionysios Dervis-Bournias, chef d'orchestre français d'origine grecque

 

Je suis indigné par Les indignés. Non, la démocratie grecque qui a conduit à la crise (démocratie souffrante, clientéliste à souhait) n'égale pas un état fasciste comme le proclament dans leur slogan phare les indignés grecs.

Ce qu'est véritablement un état fasciste je l'ai réalisé pour la première fois en voyant cette peur dans les yeux de mes parents quand ils se sont aperçus que moi, leur fils de sept ans avait suivi leur conversation un soir d'avril 1967. La panique de ma mère quand elle m'expliquait que je ne devrais répéter à personne tout ce que j'avais entendu. Même pas à mon meilleur copain, surtout pas à lui. Ou quelques années plus tard, quand j'ai appris avec quelle difficulté le proviseur de mon école avait viré le prof de musique, pourtant un pédophile sadique qui nous frappait en classe tout en harcelant une camarade. Il a fallu une confrontation devant plusieurs professeurs avec cette fille âgée de douze ans, d'un courage inouï, pour que le "prof" en question, agent de renseignements de la junte, comprenne qu'il était dans son propre intérêt (avec le fascisme on ne sait jamais) de présenter sa démission.

 

Dans Cinq questions de morale, Umberto Eco remarque que "tous les textes scolaires nazis ou fascistes se fondaient sur un lexique pauvre et une syntaxe élémentaire, afin de limiter les instruments de raisonnement complexe et critique." Ce raisonnement complexe et critique, c'est tout ce qui sépare démocratie et fascisme en temps de crise.

 

En évoquant les "camps de concentration" pour qualifier les conditions (inacceptables !) dans lesquelles l'état grec parque les immigrés, ce n'est pas un raisonnement critique adressé à ses électeurs, mais des votes au parti néo-nazi que la gauche populiste est en train de fournir.

En traitant de "sympathisante" une journaliste juste parce qu'elle a exprimé une évidence (le parti neo-nazi grec fait "œuvre sociale" en effet, distribue de la nourriture et remplace l'état défaillant) on censure, là aussi, une réflexion analytique.

 

Détrompez-vous, le fascisme en Grèce (ses milices, les disparitions d'immigrés, les agressions des homosexuels en plein milieu d'Athènes) n'est pas une bulle qui éclatera du jour au lendemain. L'Aube dorée est bel et bien ancrée dans les quartiers populaires, chez les désespérés. Tant qu'on ne réalise pas que c'est justement "une œuvre sociale" qu'on doit fournir dans ces quartiers, l'Aube dorée aura de beaux jours devant elle.

 

Lors de mon dernier voyage à Athènes le poète Titos Patrikios, grande figure de la résistance et de la gauche, me faisait remarquer que récemment le "chef" d'Aube dorée avait déclaré: "nous, on respecte les règles de la démocratie parlementaire". Il faisait référence au "sympathique" parti communiste grec qui lui ne les reconnait toujours pas. Évidement ce même "chef" dit à chaque fois tout et son contraire. Et alors? Après tout, c'est ça "son boulot", ce monsieur est un fasciste, au cas où nous l'avions pas encore compris.

 

Créer une gauche non-populiste et non-communiste, une gauche qui ne se sent pas menacée par "les instruments de raisonnement complexe et critique", voici un défi pour la jeunesse grecque. Ce ne sera pas facile et ce n'est surtout pas à moi de leurs donner de leçons: il aurait fallu entendre, voici dix ans, la boutade de Desproges "ne tombons pas dans l'antinazisme primaire" pour que je puisse me permettre, en homme de gauche, de penser que finalement, après tout, être anticommuniste primaire, être antipopuliste primaire, ce n'est peut-être pas si mal que ca.