Tribune
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Publié le 21 Janvier 2014

Antisémitisme ? Antisionisme ?

Par Marc Knobel, chercheur et Directeur des Études du CRIF

 

Le Premier ministre du Canada, Stephen Harper, a rappelé lundi 20 janvier 2014 le soutien indéfectible de son gouvernement à la sécurité et l'intégrité d'Israël, dans un discours historique devant la Knesset, à Jérusalem, utilisant même le mot « antisémitisme » pour décrire le discours de certains intellectuels envers l'État hébreu. « Il s'agit du nouveau visage de l'antisémitisme. Un antisémitisme qui vise le peuple juif en prétendant viser Israël. » Commentons et prenons quelques exemples caractéristiques d’un antisionisme qui se couvre quelquefois des habits neufs de l'antisémitisme, pour reprendre une expression qui a été popularisée par Roger Cukierman.

Des manifestations palestino-islamo-gauchistes se multiplient sur le sol français depuis l’automne 2000, avec des gens qui hurlent, outre « Allah ou-Akbar ! », entourés de drapeaux du Hezbollah ou de pancartes djihadistes du Hamas (avec adjonction de portraits de Saddam Hussein en mars 2003) : « À mort les Juifs », « À mort Israël ! », ou encore « Les Juifs au fourneau ! » (Variante « banlieue » du slogan néo-nazi « Les Juifs au four ! »), ainsi qu’on l’a entendu dans certaines manifestations dites pro-palestiniennes » du printemps 2002 (le 18 avril  notamment, à Paris). Lors de la manifestation du 22 mars 2003, à Paris, un cri est lancé dans la foule par un groupe de militants « antiguerre » : « Y a des Juifs là-bas! ». Ce jour-là, quatre jeunes membres du mouvement Hachomer Hatzaïr, (le premier ayant été identifié comme Juif parce qu’il portait une kippa), ont été pris en chasse par un groupe de « pacifistes » propalestiniens  déchaînés, armés de bâtons et de barres de fer, au cri de « Sale youpin, tu vas crever » (1).

 

Amalgame et fantasme, mais aussi réactivation de la vision du complot : les « sionistes » cachés sont censés dicter aux Américains leur « guerre impérialiste », comme le suggéraient ceux qui exhibaient un drapeau américain avec, à la place des étoiles, une croix gammée aux couleurs d’Israël (manifestation « pacifiste » du 22 mars 2003, à Paris). Ces inquiétantes manifestations, à dominante antiaméricaine ou pro palestinienne, sont devenues de plus en plus clairement l’expression de toutes les variantes de l’« antisionisme » ambiant, celui qui se diffuse dans l’opinion française depuis une trentaine d’années, selon un mouvement de radicalisation croissante. Au cours de ces manifestations, on a pu lire sur des pancartes : « Jérusalem est à nous » (en français et en arabe), entendre des individus appeler à « bombarder Israël », ou croiser des « peaceniks » en tee-shirts à l’effigie de Ben Laden, dont le sermon diffusé le 11 février 2003 se terminait pourtant par cet appel au djihad : « (…) Tuer des Américains et des Juifs partout dans le monde représente l’un des plus grands devoirs [des musulmans] (2) ».

 

C’est une (autre) manifestation pro-palestinienne qui s’ébranlait (tranquillement) dans les rues de Paris en 2010. Dans le cortège, des manifestants tenaient une pancarte. Sur cette pancarte, on pouvait lire : « Rien ne peut justifier un génocide ! ».  De quel génocide s’agirait-il ? Du génocide pro-palestinien ( ?) ! Cette accusation grotesque revient de temps à autre : les Israéliens se comporteraient comme des nazis, ils commettraient un génocide. Il en serait de même pour tous ceux qui soutiennent et/ou aiment cet État. Bref : Israéliens = Juifs = nazis. Même manifestation. Cette fois, une femme tient une affichette. On peut y voir une croix gammée et le sigle de la S.S. Le message est simple : les soldats israéliens se comportent (là encore) comme des nazis. Dans cette petite pancarte, elle a ajouté l’Étoile de David. Or, cette étoile n’apparaît pas simplement sur le drapeau israélien. Elle est le symbole du judaïsme. Et c’est bien ce symbole que l’on vise ici. Peu importe que cette personne ne sache pas de quoi elle parle. Elle veut qualifier les soldats israéliens et personne ne lui dit quoi que ce soit.

 

Dans un entretien qu’il avait accordé au Monde (2), l’historien Léon Poliakov expliquait que l’antisémitisme s'exprime dans des manifestations historiques qui, selon les époques et les milieux, peuvent être variées. « Cette agitation qui dure depuis trois millénaires, qui fut par exemple " anti mosaïque " dans l'Antiquité et devint "antisioniste " au vingtième siècle, connaîtra probablement au vingt et unième siècle de nouveaux prolongements, sous de nouvelles formes ou avec de nouveaux arguments, mais je ne crois pas qu'elle puisse disparaître.»

 

Quelques-uns de nos détracteurs oublient (aujourd’hui) que l’antisionisme, même lorsqu’il se pare de toutes les vertus, peut ressembler à tout cela. Du reste, l’antisionisme démonologique ne se contente pas de critiquer une politique et/ou une raison d’État. Il renvoie à des constructions beaucoup plus anciennes, plus sournoises et plus lâches. En vérité, il s’agit d’accuser les Juifs -qu’ils fussent israéliens ou non- de tous les maux. Ils sont assimilés à des Israéliens qui eux-mêmes sont assimilés à des nazis. Bref, les Juifs se comportent comme des nazis, disent-ils. Toutes ces expressions ont un seul but : le Juif c’est la quintessence du mal, un être abject s’il en est, dépourvu d’une quelconque humanité.

 

C’est ainsi que se conjugue -à tous les temps et en toutes les langues- l’antisémitisme de ce début de XXIème siècle.

 

Notes :

1. Voir à ce sujet : Pierre-André Taguieff, Néo pacifisme, judéophobie et mythe du complot, Les Études du CRIF, juillet 2003.

2. Ibid.

3. « Nous pouvons être convaincus que l'antisémitisme et le racisme ne cesseront pas », Le Monde, 26 septembre 2005