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Or c’est l’un des beaux mots de la langue politique moderne : périlleux, sans doute ; piégé, évidemment ; mais plutôt moins, tout compte fait, que les deux autres mots de la devise républicaine, et opérant même comme un contre-feu à ce que leur face-à-face aurait, sinon, de mortifère – sans fraternité, la liberté n’est-elle pas condamnée à engendrer cette sombre mêlée des vouloir-vivre et des faire-mourir que pointent, à juste raison, les critiques du libéralisme sans limites ? la fraternité n’est-elle pas l’antidote à ce risque totalitaire que les tocquevilliens détectent, non sans raison aussi, au coeur de l’idéal d’égalité et de sa passion du nivellement ?
Je pense à la fraternité selon Malraux qui, parti de Barrès (culte du moi) et de Spengler (les civilisations comme des gros blocs, sans portes ni fenêtres, fermés les uns aux autres), a consacré son oeuvre (romans, théorie de l’art) et sa vie (guerre d’Espagne, maquis d’Alsace, gaullisme) à dire la grande aventure de l’âme sans Dieu, mais aspirant à la grandeur.
Je pense à Camus montrant comment la fraternité est la condition de la révolte, non seulement contre le mal et son cortège de souffrances insensées, mais contre le Caligula qui sommeille en chacun (enseigne-moi la malédiction… éduque-nous à la cruauté et à l’indifférence au malheur d’autrui… à l’Arrivée, la peste…).
Je pense au Dostoïevski des « Notes hivernales » répondant par avance au « je n’ai jamais pu comprendre comment on peut aimer son prochain » d’Ivan à Aliocha – pour lui aussi, l’alternative est implacable : les frères ou les démons… la fraternité ou la mort… douceur ou barbarie… Lire la suite.