Tribune
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Publié le 21 Mars 2014

Après la haine, la fraternité

Tribune signée par un groupe de personnalités, publiée dans Libération le 20 mars 2014

Une sourde dislocation menace la société française. Le constat nous coute, mais il s’impose : aujourd’hui en France, on ne débat plus, on crache ; on ne s’oppose pas, on lynche ; on ne conteste pas, on conspue; et ce qui était hier impensable est devenu, aujourd'hui, banal. Dans la France de 2014, quand on manifeste en famille son désaccord avec la politique du Garde des Sceaux, on la traite de guenon.  Dans la France de 2014, un rassemblement prétendument organisé pour s’opposer au Président de la République devient un raout antisémite, raciste et homophobe dans les rues de Paris où l’on scande « Juif, la France n’est pas à toi ». Dans la France de 2014, la haine antijuive est à ce point populaire qu’elle est devenue une forme d’humour particulièrement rentable pour un prédicateur vénal qui se moque de la loi comme de ceux qu’il offre à la vindicte des rires gras.

Dans notre pays, il se trouve un certain nombre de personnes pour affirmer avec morgue que les juifs dirigeraient le monde, que les homosexuels mettraient la société en danger, que les Arabes ne seront jamais français et que les noirs devraient préférer les arbres aux bancs de l’Assemblée nationale. Et il se trouve – hélas ! - un nombre plus grand encore de personnes suffisamment crédules, fragiles ou stupides pour le croire et le faire savoir, dans les rues et sur la Toile.

Que l’on ne s’y trompe pas : ce qui, à terme, est menacé, par le racisme, l’antisémitisme ou l’homophobie ce ne sont pas seulement les personnes d’origine immigrée, les juifs et les homosexuels, mais c'est la possibilité de vivre en République, c’est-à-dire la République elle-même.

À ceux qui ont proféré, diffusé, dit, laissé dire, mis en scène, organisé ou profité d’une telle immondice, nous voulons exprimer fermement et calmement que cela suffit ; qu’ils répondront de leurs actes et que pour notre part, nous répondrons par des mots. Le ressentiment ne peut pas être le seul sentiment qui relie entre eux des Français qui ne se sont jamais rencontrés. À trop céder aux oppositions artificielles, la défiance s’est installée et on en a oublié l’essentiel : la fierté et le bonheur de vivre ensemble.  Si chacun considère son voisin ou son collègue comme une menace ou un ennemi, alors la France disparaîtra non pas tant dans ce qu’elle est, mais dans ce qu’elle a pu incarner de plus beau ici et à travers le monde.

Nous avons tous et toutes, à titre individuel, la responsabilité de construire la société dans laquelle nous voulons vivre.

Ceux qui ont hurlé doivent se taire ; ceux qui se sont tus doivent parler. En ces temps de haines rances, de clameurs incendiaires et de ressentiment généralisé, nous devons nous rassembler sous un seul mot, une seule bannière, un unique mot d’ordre, quels que soient notre origine, notre âge, notre orientation ou notre condition. Dans la France de 2014, il appartient à chacun d’entre nous de décider que le temps de la haine est révolu et que celui de la fraternité est venu.

Premiers signataires :

Yvan ATTAL

Josiane BALASKO

Bérénice BEJO

Tahar BEN JELLOUN

Pierre BERGE

Pascal BLANCHARD

Michel BOUJENAH

Patrick BRUEL

Élie CHOURAQUI

Caroline FOUREST

Michel HAZANAVICIUS

Patrick KLUGMAN

Pierre LESCURE

Bernard-Henri LEVY

Jacques MARTIAL

Yann MOIX

Scholastique MUKASONGA

Yannick NOAH

Dominique SOPO

Éric TOLEDANO