Tribune
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Publié le 7 Octobre 2013

Au Nord-Mali, le jihad perd, mais perdure

Par Thomas Hofnung

 

L’opération Serval a chassé les groupes islamistes des villes et tué des centaines de combattants, mais les mouvements se recomposent et reprennent les attentats. Dans le nord du Mali, Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) et les groupes jihadistes tentent de se réorganiser après avoir été chassés des grandes villes lors de l’opération Serval. État des lieux.

Que reste-t-il d’Aqmi dans le nord du Mali ?

 

Aqmi n’est pas mort. La preuve : le 28 septembre, deux kamikazes ont précipité leur véhicule contre un camp militaire à Tombouctou, tuant deux civils et blessant sept soldats. La veille, l’organisation affiliée à Al-Qaeda avait annoncé la nomination de Saïd Abou Moughatil, un Algérien, pour succéder à Abou Zeid, tué en février dans un raid de l’armée française pendant Serval. Mais, paradoxalement, certains experts voient dans ces événements le signe de l’affaiblissement durable d’Aqmi. L’attentat de Tombouctou a eu un impact limité, révélant l’incapacité de l’organisation à monter une opération d’envergure. «Nous avons détruit le sanctuaire d’Aqmi dans l’Adrar des Ifoghas, se félicite une source militaire. Ses forces résiduelles n’ont plus de port d’attache.»

 

Par ailleurs, la réorganisation de son leadership a pris plusieurs mois. Un délai qui peut s’expliquer par la difficulté, pour des jihadistes traqués par les militaires français, à se regrouper et à communiquer. S’il est impossible, aujourd’hui, de chiffrer précisément les effectifs d’Aqmi, Paris estime avoir anéanti plusieurs centaines de combattants. «Certains ont pu se réfugier un temps dans les pays voisins - au Niger, en Algérie ou en Libye -, mais le gros des troupes évolue toujours dans le nord du Mali, leur milieu naturel. Les jihadistes y ont leurs familles, leurs amis, leurs habitudes.» Malgré la présence de milliers de soldats - les Français de Serval et les Casques bleus -, ils s’y sentent finalement moins vulnérables.

 

Quel est l’état réel de la menace dans le Sahel ?

 

Si Aqmi paraît incapable de mener des actions de grande ampleur, un autre groupe suscite l’inquiétude des autorités françaises : les Mourabitounes - un nouveau venu sur la scène jihadiste, issu de la fusion des hommes de Mokhtar Belmokhtar et du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest). «Ces organisations ont été moins touchées qu’Aqmi lors de l’opération Serval», dit une source proche du dossier.

 

En mai, elles ont mené une double attaque dans le nord du Niger contre un camp militaire, à Agadez, et contre le site minier d’Areva à Arlit. Le mode opératoire employé à Agadez témoigne d’un vrai savoir-faire : après l’explosion d’une voiture piégée, les assaillants ont pris le contrôle d’un camp, prenant en otages des dizaines de militaires locaux. Un nombre indéterminé d’entre eux a été tué lors de la reprise de la caserne par les soldats de Niamey, épaulés par les forces spéciales françaises.

 

Paris redoute aujourd’hui que Belmokhtar et consorts s’en prennent aux pays de la région (Tchad, Niger, Burkina Faso) qui ont soutenu et participé à l’opération Serval, via leurs unités de Casques bleus déployées au Mali. Ces groupes tenteraient, par ailleurs, de faire la jonction avec Ansar al-Charia en Tunisie. «Nous avons la preuve que certains jihadistes circulent du Mali jusqu’en Tunisie, via le Niger et la Libye», dit-on à Paris.

 

Quelle est la stratégie française face à ces groupes ?

 

Au Mali, où Paris maintient près de 3 000 hommes, les soldats français continuent de ratisser l’immensité désertique, à la recherche de petits groupes et de caches d’armes. Et des otages français. «Régulièrement, grâce à nos renseignements, nous découvrons des abris souterrains, parfois en béton, comportant des munitions, des vivres, de l’eau et de l’essence, confie une source bien informée. Ces caches insoupçonnables à l’œil nu sont parfois situées au milieu de nulle part.» La traque ne fait donc que commencer. «Les terroristes se sont adaptés, explique un haut responsable à Paris. Ils évitent de se déplacer en convoi pour ne pas attirer l’attention, cachent systématiquement leurs pick-up sous les arbres et ne communiquent que par des messagers.» Selon cette même source, les jihadistes poussent la prudence jusqu’à cuisiner uniquement de jour pour ne pas attirer les regards en faisant du feu la nuit.

 

Dans ces conditions, malgré le déploiement de moyens de surveillance sophistiqués (notamment des drones, basés à Niamey), il est difficile de neutraliser un tel adversaire, capable de se fondre dans le désert. «Ces groupes s’appuient sur une partie de la population, certains de leurs membres ont pris des épouses dans des clans locaux et ils ont de l’argent. Il est très délicat de mener des opérations coup de poing dans des campements au beau milieu de femmes et d’enfants», ajoute une source militaire.

 

Autre option possible : couper les lignes de ravitaillement pour tenter d’asphyxier les jihadistes. Ce qui demande notamment le soutien actif de l’Algérie, la grande puissance de la région. «Même en supposant que la volonté de nous aider soit là, à Alger, il est impossible de contrôler une frontière aussi vaste», commente une source sécuritaire à Paris. Les forces de Serval sont donc probablement dans le Sahel pour très longtemps.

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