Tribune
|
Publié le 30 Janvier 2014

Avec le collectif «"Jour de colère", on a toutes les formes du ressentiment qui s’expriment»

Interview d’Éric Fassin, sociologue à l’université Paris VIII, propos recueillis par Alexandra Cagnard, publiée sur RFI, le 29 janvier 2014

 

Au moins 20 000 personnes selon la police, 160 000 selon les organisateurs, ont manifesté dimanche dernier, 26 janvier 2014, à Paris. Une manifestation anti-Hollande à l’initiative d’un collectif qui s’est nommé « Jour de colère » et qui regroupe une soixantaine d’associations. Entretien avec Eric Fassin, sociologue à l’université Paris VIII.

RFI : « Hollande dégage ! », « On s’est battus contre les PD, on se battra contre l’IVG », « Juif, casse-toi, la France n’est pas à toi ». Ce sont quelques-uns des slogans qu’on a pu entendre dimanche dernier. Des mots extrêmement forts. Que traduisent-ils, selon vous ?

 

Éric Fassin : Ils traduisent une mobilisation et une mobilisation de l’extrême droite qui, en France aujourd’hui, arrive à se faire entendre beaucoup plus largement. C’est-à-dire qu’on avait le sentiment d’une marginalité de tels propos, aujourd’hui ils se retrouvent sur le devant de la scène. Et toute la mobilisation contre « le mariage pour tous » a joué un rôle important parce qu’elle s’est d’abord présentée comme plutôt bon enfant, plutôt amusante avec la figure de Frigide Barjot. Mais on s’aperçoit avec le « Printemps français » qu’elle va beaucoup plus loin. Il y a la possibilité d’alliance entre des catholiques et le « Jour de colère » – il renvoie bien sûr à la culture catholique -, et des gens dont la logique est véritablement antisémite, xénophobe, raciste. Donc on a toutes les formes du ressentiment qui s’expriment simultanément et sur les questions sexuelles et sur les questions raciales.

 

Cela veut dire que s’il n’y avait pas eu la « Manif pour tous », en tout cas si elle n’avait pas connu une telle ampleur, on n’assisterait pas à cette libéralisation de paroles homophobes et racistes ?

 

Effectivement, les mobilisations ont joué un rôle très important. Après on voit bien que ça agrège toutes sortes de logiques qui peuvent porter sur la fiscalité, puisque c’est un des thèmes sur lesquels intervient aujourd’hui la « Manif pour tous », mais qui peuvent porter aussi sur la récupération du phénomène Dieudonné avec le geste de la quenelle qui a été également présent pendant cette journée. Autrement dit, on n’a plus seulement la bourgeoisie blanche des beaux quartiers, comme on l’avait principalement dans les manifestations homophobes de l’année dernière, on a aussi une tentative pour récupérer une partie de la jeunesse des quartiers, par exemple. Reste à voir si cette démarche sera couronnée de succès ou si, au contraire, ce sera simplement une façade à finalité médiatique… Lire la suite.