Tribune
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Publié le 17 Octobre 2013

Baby-Loup: la laïcité en péril

Par Malika Sorel, membre du collège du Haut Conseil à l'intégration et de sa mission Laïcité. Administrateur de Géostratégies 2000. Auteur de l'ouvrage «Immigration, intégration: le langage de vérité», Éditions Mille et Une Nuits/Fayard, 2011

 

Mars 2013: la chambre sociale de la Cour de cassation casse et annule dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu en octobre 2011 par la cour d'appel de Versailles. Cet arrêt confirmait un jugement de décembre 2010 du conseil des prud'hommes de Mantes-la-Jolie, validant le licenciement d'une puéricultrice qui souhaitait exercer en portant un voile islamique au sein de la crèche Baby-Loup, dont la mission est déclarée d'intérêt général. Le litige se produit au retour d'un congé maternité démarré en mai 2003 et suivi d'un congé parental jusqu'en décembre 2008. Les dommages et intérêts réclamés à la crèche s'élèvent à 100000 euros. Ce même jour, la même chambre de la Cour de cassation valide le licenciement d'une salariée technicienne de prestations maladie à la CPAM de Seine-Saint-Denis au travers d'une société de droit privé, au motif qu'elle portait un voile islamique. Le commun des mortels peine à comprendre les subtilités sous-jacentes, et plus encore à en déduire une ligne de conduite. C'est pourquoi le législateur doit remédier à une insécurité juridique qui s'étend chaque jour davantage et ce, dans tous les espaces où sont amenées à se côtoyer des personnes héritières de cultures différentes, donc de normes collectives différentes.

Certes, tout ne peut être transcrit dans la loi, mais beaucoup de règles de savoir-être en société qui étaient tacites jusque dans les années 1980 ne le sont plus, justement parce que l'intégration culturelle a échoué. Si cet échec n'avait touché qu'un petit nombre comme on l'entend souvent, nous n'aurions pas assisté à une telle montée en puissance des revendications religieuses et identitaires, dont les assauts sont répétés crescendo, tels le Boléro de Ravel.

 

Dès la Marche des Beurs de 1983, les autorités, si elles avaient accepté de regarder la réalité en face, auraient dû se préoccuper de certaines revendications qui attestaient d'un décalage par rapport à notre société, et de l'existence d'une dissonance identitaire dont les souffrances allaient faire des ravages sur les enfants de l'immigration et sur notre société.

 

L'affaire Baby-Loup vient illustrer de façon éclatante la prophétie du premier ministre Michel Rocard qui évoquait en 1990 les risques d'hypothèque sur l'équilibre social de la nation et sur les chances d'intégration des immigrés déjà présents. Sur le terrain, la décision de la Cour de cassation a été perçue comme une victoire contre la République et contre ceux qui osent encore se lever pour la défendre. Dans un récent article du Monde, la directrice de la crèche, Natalia Baleato, témoigne: «Aux hostilités extérieures et anonymes qui s'exerçaient jusqu'alors se sont ajoutées des altercations dans l'enceinte même de l'établissement (…)». Pudique, elle ne détaille pas la nature des insultes dont les salariées sont gratifiées. Ces insultes reflètent pourtant l'abîme qui existe entre le statut de la femme dans la société française et dans certaines sociétés d'origine de l'immigration.

 

Les civilisations ne sont pas figées, mais dynamiques

 

Comme le développe le philosophe Abdelwahab Meddeb, "il n'y a pas de différence de nature ni de structure, mais de degré et d'intensité entre burqa et hijab, lequel n'est rien qu'en lui-même une atteinte au principe de l'égalité et de la dignité partagées entre les sexes". L'offensive sur la burqa aura réussi à banaliser le hijab, qui est de plus en plus évoqué comme “un simple foulard". L'islamologue Gilles Kepel évoque pourtant, «durant les années 1990, les dirigeants des organisations islamiques politiques issues des Frères musulmans, focalisés sur la controverse du hijab à l'école qui leur paraissait la plus propice à faire émerger en France une communauté militante sous leur houlette (…)».

 

Nous n'avons pas fini de payer la double erreur de nos élites qui ont, sciemment ou non, pris comme hypothèse que les corps des migrants se déplaçaient sans esprit, sans âme, et qui ont méprisé le poids de la géopolitique. Les sociétés d'où proviennent les plus forts flux migratoires ressemblent peu au monde musulman de Gamal Abdel Nasser, lequel faisait se tordre de rire tout une salle en évoquant le fait que les Frères musulmans voulaient que les femmes portent le voile. Les civilisations, et les cultures qui les sous-tendent ne sont pas figées, mais dynamiques. Elles témoignent, entre autres, des valeurs et des connaissances d'une société à un moment donné de son histoire.

 

Notre malheur? La facilité du recours à la dette qui continue de retarder l'heure de vérité sur le lien entre l'importance des flux migratoires et l'aptitude de toute société à maintenir sa cohésion sociale et nationale. «Prenons garde, avait dit Mirabeau, qu'en continuant à vivre, la dette publique ne détruise la nation et nous reprenne la liberté qu'elle nous a donnée!»

 

La laïcité, c'était la digue qui protégeait la France. Entamée, elle menace désormais de rompre. S'ils veulent éviter de connaître un jour le destin des Algériens, à jamais meurtris par la guerre civile qui les a jetés les uns contre les autres, les Français doivent fortifier la laïcité et veiller sur elle comme sur la prunelle de leurs yeux.

 

* Membre du collège du Haut Conseil à l'intégration et de sa mission Laïcité. Administrateur de Géostratégies 2000. Auteur de l'ouvrage «Immigration, intégration: le langage de vérité», Éditions Mille et Une Nuits/Fayard, 2011.