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Il a conduit, d’abord, sa grande réforme de la santé. Il l’a faite incomplètement, sans doute. Et, dans le feu de la bataille que lui ont livrée, rejoints par une poignée de démocrates, les républicains au grand complet, il a dû édulcorer maints traits de son projet. Mais enfin il l’a fait. Il a bataillé, mais il a gagné. Et, quoi qu’en disent les pinailleurs, les esprits chagrins, les défaitistes, le résultat concret est là : les 50 millions de laissés-pour-compte du rêve américain ont, grâce à un président qui a vu sa jeune mère lutter contre le cancer en même temps que contre un système de santé qui lui refusait, de fait, l’accès aux soins, conquis le droit d’être malades, ou vieux, ou d’affronter honorablement l’ultime et obscur rendez-vous qu’est, pour chacun d’entre nous, le jour de sa mort propre. Cette révolution élémentaire et magnifique, cette extension du domaine de la lutte pour les droits de l’homme entendus aussi, désormais, comme droit de souffrir, de vieillir ou de mourir dans la dignité, Clinton ne s’y était pas frotté. Ni Kennedy. Ni Truman. Ni aucun autre. Et c’est, au regard de l’Histoire, une réussite considérable.
Il a révolutionné, ensuite, un paysage économique que le vent d’une crise sans précédent menaçait, quand il a pris les rênes, de transformer en champ de ruines. Il l’a fait insuffisamment, là aussi. Il l’a fait à sa manière qui est celle d’un pragmatique, d’un homme de justes compromis, d’un centriste. Et il l’a fait, surtout, au milieu d’une tempête qui, on l’oublie un peu vite, saisissait d’effroi, à l’époque, tous les responsables de la planète et les obligeait à naviguer à l’estime, sans instruments ni certitudes, chaque décision que l’on prenait pouvant déboucher sur un désastre. Mais enfin il l’a fait. Il a commencé de mettre Wall Street au pas. Il a, prudemment, mais fermement, testé les premiers mécanismes d’une régulation de la finance. Et, en injectant les 800 milliards de l’American Recovery and Reinvestment Act, puis les 447 milliards du Jobs Act de septembre 2011, il a mis en œuvre le plan de relance le plus colossal de tous les temps. Il n’y a pas d’histoire, chacun le sait, des catastrophes évitées. Mais est-il si difficile d’imaginer ce que, sans ces décisions, serait le niveau du chômage dans le pays ? Et, sans la nationalisation de fait de tel complexe automobile, sans ces crédits massifs en faveur des énergies durables, sans ce réinvestissement keynésien des infrastructures négligées depuis les années 30, bref, sans ce nouveau New Deal, sait-on ce que serait l’état du pays, donc du monde ? Vient à l’esprit, oui, le nom de Franklin D. Roosevelt, inventeur du premier New Deal. Et celui de Lyndon Johnson, cet autre grand président, promoteur de la Great Society. Pour un homme partout dépeint comme décevant, hésitant, quand ce n’est pas pusillanime, ce n’est, il me semble, pas si mal.
Et puis il a modifié en profondeur, et ce n’est pas le moins important, le cours de la diplomatie américaine – ainsi que, par voie de conséquence, l’image de soi que le pays projette sur la planète. Il ne l’a pas fait totalement, là non plus. Il n’a pas eu les moyens politiques, par exemple, d’aller au bout de sa décision de fermer Guantanamo. Et aucun homme, d’ailleurs, ne pouvait – ni ne pourra jamais – vaincre seul les idoles de cette nouvelle religion qu’est devenu, dans le monde, l’antiaméricanisme. Mais considérez la séquence qui s’ouvre avec le discours du Caire et la main tendue, ce jour-là, aux musulmans modérés. Considérez le retrait d’Irak. Puis, dans le même mouvement, l’intensification de la guerre contre les talibans. Puis, avant la mise hors d’état de nuire de Ben Laden, rendant celle-ci possible, la remise en cause de l’alliance absurde, pour ne pas dire contre nature, nouée par ses prédécesseurs avec l’État voyou du Pakistan. Barack Obama a rompu avec une stratégie jacksonienne où, pour contrer le terrorisme, on tirait dans le tas, à l’aveugle – West contre rest, Amérique versus islam, et en avant pour la guerre des civilisations. Il est passé à une stratégie réfléchie, « ciblée », où le concept de guerre juste vient en renfort d’une défense résolue de l’islam éclairé – islam contre islam, guerre à l’intérieur de l’islam, une Amérique qui ne vise et ne combat que les néofascistes, ennemis des peuples du monde et, d’abord, des peuples arabo-musulmans et de leur aspiration à la liberté.
L’essentiel de ses promesses, en un mot, Barack Obama les a tenues.
Et, pour qu’il tienne l’autre moitié, il faut et il suffit de lui confier le second mandat dont il disait, dès le premier jour, qu’il en aurait besoin pour pleinement réussir dans son entreprise.
Je ne regrette pas, pour ma part, d’avoir, dès 2004, soit quatre ans avant sa première élection, pressenti le prodigieux destin de celui que je baptisai aussitôt le « Kennedy noir ». Pas de raisons d’être déçu ! L’espoir est là. Plus que jamais là. Et le combat continue.