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Retour sur un été brûlant
Dans la nuit du vendredi 11 au samedi 12 juillet 2014, un cocktail Molotov a été lancé contre la synagogue d’Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, causant de légers dégâts. Le lendemain, dans le 11ème arrondissement de Paris, rue de la Roquette, une centaine de jeunes, portant pour beaucoup les couleurs du Hamas ou le drapeau palestinien, ont tenté d’attaquer la synagogue qui se trouve dans cette rue, mais ils ont été repoussés par les CRS présents sur place. Le samedi 19 juillet 2014 s’est tenue à Paris la manifestation « en soutien au peuple palestinien », bravant l’interdiction préfectorale. Elle avait pourtant débuté dans le calme, mais elle a dégénéré en scènes d’émeutes. Plus d’une quarantaine de personnes ont été interpellées, 17 policiers et gendarmes ont été blessés. Les boulevards autour de Barbès ont été recouverts de bris de glace, entre abribus et cabines téléphoniques complètement détruites et deux camionnettes ont été calcinées au milieu de la chaussée, ainsi que de nombreuses poubelles. La chaussée était également jonchée de plaques de bitumes arrachées. « Une scène de guerre », a commenté un piéton apeuré au Parisien. 20 juillet 2014 : nouveau rassemblement propalestinien, à Sarcelles, malgré une interdiction préfectorale. Il a été suivi de violences, dirigées en partie contre les juifs, mettant à sac des commerces, dont une épicerie casher. Des manifestants ont incendié voitures et poubelles et ils ont affronté pendant de longues heures les CRS.
Rappelons que le gouvernement avait décidé d’interdire deux manifestations, celles de Barbès et de Sarcelles ce qui avait provoqué une vraie polémique dans la classe politique. On a entendu ici ou là que les interdictions ne se justifiaient pas et que si ces manifestations avaient eu lieu, elles auraient été encadrées et aucun incident violent n’aurait été à déplorer, ce que nous contestons. « À chaque fois que les manifestations ont été autorisées, ça s’est toujours bien passé », a répondu comme en écho Olivier Besancenot, l’ex-candidat trotskiste du NPA à la présidentielle.
Certes, il n’y aura pas forcément (ces autres fois-là) d’abribus détruits, de grandes bagarres, de scènes d’émeutes, de policiers blessés ou de voyous qui ont voulu en découdre avec les Juifs ou investir des synagogues pour les saccager et/ou les incendier; ou d’hommes armés de matraques, de mortiers et poings américains. Mais, de là à affirmer que les choses se sont forcément bien passées…
Une violence presque ordinaire
Dans une autre manif, Il y eut cet homme (curieusement) habillé en militaire avec ce qui semblait être une Kalachnikov. Il faisait le tour d’enfants et faisait semblant de tirer sur eux. Il est parti assez vite et est remonté dans un camion qui abritait la sono. Tout autour de lui, des personnes ont hurlé de manière décomplexée leur soutien au Hamas et ont appelé à la « résistance armée ». Là, un cameraman a été hué par des manifestants, il a été obligé d’être exfiltré par la police. Ici ou là, on a entendu retentir ces quelques cris : « Les médias français sont les porte-parole des fascistes israéliens », « il faut désioniser les médias » ou plus généralement « Mort à Israël ». Dans une autre manif, le speaker d’un camion du collectif Cheikh Yassine a fait entonner par la foule et en cœur : « Hamas résistance » puis « Djihâd résistance » ou « Nous sommes avec le Djihad islamique » ; ici encore, des drapeaux de l’Etat islamique ont été brandis ainsi que des pancartes en l’honneur du Cheikh Yacine, le fondateur du Hamas et de nombreux… : « Hollande complice du génocide à Gaza » ont été scandés. Comment pourrait-on oublier aussi que l’un des organisateurs d’une manif, muni d’un micro, a exhorté la foule depuis l’arrière d’un camion ? Voici la transcription de ses appels et les réponses de la foule :
« - Est-ce que vous êtes pour la résistance palestinienne ?
– Oui!
– Est-ce que vous êtes pour le Hamas ?
– Oui !
– Est-ce que vous êtes pour le djihad ?
– Oui !
Est-ce que vous êtes pour Al-Jabhah al-Sha`biyyah [le Front populaire de libération de la Palestine] ?
– Oui ! »
Puis, on a entendu un chant en arabe à la gloire de la branche armée du Jihad islamique palestinien : les brigades Al-Quds (1).
Finalement, des milliers et des milliers de manifestants ont arpenté ainsi les rues de Paris et des grandes capitales européennes. Pourtant, tous les conflits du monde ne suscitent pas une telle passion, une telle crispation. Étrangement, le conflit israélo-palestinien semble cristalliser toutes les émotions parce que cette guerre est avant tout une guerre des images et des symboles. Comme toute guerre médiatique, la force des photos laisse des séquelles, qualifiant le type d’agression et l’agresseur présumé. Ce sont les images qui marquent les consciences, ce sont les images qui diabolisent les uns ou les autres. Ce sont ces images qui servent de prétexte. Du moins est-ce en leur nom et à ce qu’elles disent (des violences, de nombreux morts) que des jeunes s’identifient à ceux qu’ils pensent être des victimes pour frapper ceux qu’ils perçoivent comme des bourreaux. Dans les manifestations pro palestiniennes (en particulier, mais pas exclusivement) s’expriment alors toutes les facettes, des mots et des maux qui interrogent notre société et prouvent que le conflit est en train de s’importer. D’où la question pertinente posée par l’écrivain et comédien britannique Pat Condell (2): « Où étiez-vous, ô humanistes progressistes, lorsqu’Assad massacrait des milliers de gens en Syrie, ou Bashir au Soudan? Où étaient les grandes manifestations outrées pour ces gens ou pour les victimes des massacres au Nigéria? Ou pour les milliers de tués en Irak? » Ce que l’écrivain français Pierre Jourde résume par cette formule magique : « Cent chrétiens lynchés au Pakistan valent moins, médiatiquement parlant, qu’un mort palestinien. »
Il n’a pas fait forcément beau, ni chaud ces mois de juillet et d’août 2014, tout au moins dans le nord de la France, avec un ciel désespérément gris, bas, menaçant.
Vivement la rentrée.