Tribune
|
Publié le 10 Octobre 2012

Ce que la police sait des réseaux salafistes

Par Christophe Cornevin et Jean-Marc Leclerc pour le Figaro

 

À mesure que se déroulent les gardes à vue des douze islamistes présumés entendus jusqu'à mardi soir dans le cadre du démantèlement d'une «cellule» terroriste qui avait essaimé de Cannes à la région parisienne, les policiers de la sous-direction antiterroriste de la PJ (Sdat) et de la DCRI (renseignement intérieur) précisent les contours d'un vaste réseau dormant.

Selon une source proche du dossier, l'attentat à la grenade qui a visé l'épicerie kasher de Sarcelles le 19 septembre dernier n'aurait été qu'«une étape avant la montée en puissance des menées djihadistes». «Tous les clignotants étaient au rouge, il était temps d'intervenir», confie un enquêteur. Parmi la liste d'associations juives rédigée à la main sur une feuille volante et découverte en perquisition samedi, figurent notamment le siège parisien du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) et celui de l'Union libérale israélite de France (Ulif), dont la synagogue de la rue Copernic, qui avait été la cible d'un attentat le 3 octobre 1980.

 

Outre le Smith & Wesson 357 Magnum utilisé par Jérémie Louis-Sidney contre la police avant de mourir l'arme à la main à Strasbourg et le 22 long rifle saisi sur Jérémy Bailly à Torcy, alors qu'il était de retour d'une salle de prières, les policiers ont découvert des munitions ainsi qu'une substance liquide suspecte en cours d'analyses lundi. Du mercure?

 

Séjours au Maghreb

 

Pour l'heure, les enquêteurs tentent de vérifier les trajectoires des apprentis djihadistes, essentiellement des Français convertis, afin de déterminer si certains avaient pris le chemin des camps d'entraînement, notamment en Syrie ou dans la zone pakistano-afghane. Louis-Sidney, présenté comme le pivot du groupe, aurait notamment séjourné en Égypte et dans des pays du Maghreb.

 

Le parquet devrait ouvrir une information judiciaire mercredi, notamment pour «association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» et «destruction par explosif». Évoquant un «terrorisme intérieur», Manuel Valls a décrit lundi 8 octobre sur RTL un «groupe déterminé à agir (…) qu'il s'agissait de neutraliser». «Il y aura sans doute d'autres interpellations», a prévenu plus largement le ministre de l'Intérieur, qui a confirmé l'existence de «plusieurs dizaines, voire de plusieurs centaines d'individus capables de s'organiser comme le groupe qui vient d'être démantelé».

 

Sur les quelque 3000 fonctionnaires de la DCRI, pas moins de 800 travaillent spécifiquement sur la menace islamiste radicale. Les analystes purs s'intéressent à l'évolution des mouvements, à leurs chefs, à leurs structures, notamment dans les pays arabes. La «veille opérationnelle» mobilise les deux tiers des effectifs, implantés à parts égales entre la direction centrale à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) et les implantations régionales et départementales. Une centaine d'agents se mobilisent sur l'activité judiciaire, quelques dizaines sur le suivi de la population carcérale.

 

Le vivier des islamistes radicaux susceptibles de passer à l'acte est estimé par le contre-espionnage entre 200 et 300 fanatiques. «Mais la mouvance comprend des milliers d'individus», précise un cadre français du renseignement. À l'entendre, «il ne se passe pas une semaine sans qu'une interpellation ait lieu. Seuls les coups de filet les plus importants sont médiatisés.» Selon cet agent, «il est impossible de “surveiller H24” toutes les personnes signalées, car les effectifs de la DCRI n'y suffiraient pas. Au reste, mettre en permanence l'ensemble des suspects sur écoutes serait illégal.»

 

«Totalement allumés»

 

La base de données Cristina de la DCRI demeure l'outil de travail principal. Elle permet d'éditer des fiches d'alerte. À l'occasion d'un contrôle routier ou d'une intervention de routine, les policiers en tenue se voient prescrire des conduites à tenir si l'intéressé est passé dans les «radars» de la DCRI. Celle-ci leur enjoint souvent de ne rien faire ou dire qui puisse éveiller les soupçons et de ramasser un maximum de détails sur les fréquentations du suspect.

 

Un travail classique de sollicitation des indicateurs est effectué, et les agents vont au contact recueillir des informations quand le profil semble inquiétant, parallèlement à la mise en place d'interceptions techniques. Au printemps dernier, Louis-Sidney avait été repéré grâce à divers «éléments de radicalisation».

 

Internet, les forums des sites islamistes, Facebook, Twitter et leurs avatars, font également l'objet d'une surveillance active de la DCRI. Un agent le dit: «Des individus totalement allumés, souvent inconnus de nos fichiers, offrent désormais leurs services sur certains sites salafistes. Ils s'improvisent candidats au djihad. Ce phénomène d'autoradicalisation a rendu le travail de la DCRI plus complexe.» Face à la menace qui monte, marquée par une explosion de 45 % des actes antisémites en huit mois, selon le Service de protection de la communauté juive, la lutte contre le spectre islamiste est devenue un enjeu majeur.

 

Lire aussi:

 

Jérémie Sidney, un délinquant converti à l'islam radical (le Figaro)

 

Islam radical : "Ils ont l'impression de prendre le maquis" (BFMTV)